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guent d’une noble origine et méprisent souverainement les classes ouvrières et mercantiles de la Nouvelle-Angleterre, les habitans de Beaufort ne voulurent pas même se trouver en contact avec leurs vainqueurs et s’empressèrent de quitter l’archipel, accompagnés de leurs familles et de leur suite de petits blancs. En cette occasion, ils donnèrent un exemple qui, depuis lors, n’a été que très partiellement suivi dans les divers pays à esclaves conquis par les armes fédérales : ils mirent le feu à leurs entrepôts de coton, détruisirent les approvisionnemens de tout genre qu’ils ne pouvaient emporter, commencèrent eux-mêmes à saccager leurs demeures, et s’ils laissèrent sur pied les récoltes de coton déjà presque mûres, ce fut uniquement parce qu’ils n’eurent pas le temps de les ravager. Toutefois il leur restait leur fortune vivante, consistant en mulets, en bestiaux et surtout en esclaves. Avant l’arrivée de la flotte fédérale, quelques propriétaires avaient déjà expédié sur le continent un certain nombre de leurs nègres, d’autres avaient prêté une partie de leurs travailleurs au gouvernement de l’état pour la construction des remparts de Charleston ; mais la majorité des esclaves se trouvaient encore dans l’archipel lorsque les forteresses de Port-Royal tombèrent entre les mains des Yankees. Aussitôt les planteurs songèrent à la retraite. Choisissant d’abord leurs noirs les plus robustes et les plus adroits, ceux dont les bras ou l’intelligence représentaient le plus fort capital, ils poussèrent devant eux ce troupeau d’hommes désarmés, et plus d’une fois, si l’on en croit le témoignage unanime des noirs, ils firent usage de leurs carabines pour abattre les malheureux qui tâchaient de s’enfuir. Quoi qu’il en soit, l’approche des fédéraux ne permit pas aux sécessionnistes d’emmener tous leurs nègres : la plupart des domestiques vieux ou infirmes, les enfans n’ayant qu’une faible valeur monétaire furent abandonnés dans les cases. Parmi les nègres de champ, un grand nombre trouvèrent le moyen de se cacher et ne se montrèrent qu’après le départ de leurs maîtres. Souvent on leur avait raconté que le seul but des féroces Yankeesétait de capturer les esclaves et de les vendre aux planteurs de Cuba ; néanmoins, dans leur incertitude, les malheureux noirs préféraient rester sur les plantations, attendant leur destinée dans le voisinage des cases et des jardinets qui constituaient leur unique patrie. Ils avaient au moins cette triste consolation, que dans aucun cas les nouveau-venus ne pourraient leur imposer une condition plus dure que celle de leur précédent esclavage. On évalue à 8,000 environ le nombre des nègres qui restèrent dans l’archipel de Beaufort après la fuite précipitée des propriétaires. La moyenne des esclaves trouvés par les fédéraux sur chaque plantation dépassait quarante.