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avait frappés ou menacés dans leur carrière et dans leurs moyens d’existence. On pouvait espérer que l’intimidation avait réussi ; il semblait que le silence allait se faire, que les croyances allaient se rassurer. C’est sur ces entrefaites qu’un nouveau coup, infiniment plus inattendu, plus sensible, plus difficile à parer, est venu ébranler l’édifice des traditions.

On sait que l’Angleterre, depuis quelques années, a érigé dans ses vastes dépendances coloniales un assez grand nombre de sièges épiscopaux. Il y a des évêques non-seulement au Cap, à Calcutta, à Sydney, mais à Labouan, à Honolulu. Ces sièges, à proprement parler, sont des postes de mission, et ceux qui les remplissent ne sont point des dignitaires qui ont déjà passé par les charges ecclésiastiques, mais des hommes dans la force de l’âge, et que recommandent leur zèle et leurs talens. Un épiscopat de ce genre a été établi dans la colonie de Natal, au nord-est du Cap, territoire de dix-huit mille milles carrés, habité par des Cafres et par des fermiers hollandais. Le docteur Colenso y fut appelé en 1854. Il avait quarante ans. Élève distingué de l’université de Cambridge, il avait passé plusieurs années dans l’enseignement, puis dans les fonctions de pasteur de campagne. Excellent mathématicien, ses traités d’arithmétique et d’algèbre ont été adoptés dans les écoles et les universités. Zélé ministre de l’Évangile, il avait publié des « sermons de village, » dans lesquels les gens experts avaient bien démêlé une petite saveur d’hétérodoxie, mais dans lesquels on n’avait pu méconnaître l’éloquence et la piété. Ce qui est certain, c’est que personne ne s’attendait à l’éclat qui se préparait. L’évêque Colenso était tout entier à son œuvre de conversion et de civilisation ; les ouvrages qu’il publiait de temps en temps avaient tous trait aux travaux du missionnaire ; les dépisteurs d’hérésie, occupés à la poursuite des Essais et Revues, avaient oublié ses premières hardiesses. Qui eût dit que le nouvel acte du drame théologique se préparait aux antipodes, parmi les Zoulous, et qu’un évêque devait y jouer le rôle principal ?

Il y a quelques mois, le docteur Colenso revint en Angleterre. Le bruit se répandit bientôt qu’il venait pour y publier un examen critique du Pentateuque, et que ce livre était destiné à faire du bruit. Un premier volume parut en effet au mois de novembre dernier, et l’on ne peut dire qu’il ait trompé l’attente du public. L’effet produit par les Essais avait eu quelque chose de plus imprévu, la consternation causée par le volume du docteur Colenso a été plus grande : c’était un second coup qui venait s’ajouter au premier ; mais ce qui augmenta surtout l’impression de crainte et de colère qu’éprouvèrent les orthodoxes, ce fut le caractère ecclésiastique