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que ces paroles avaient été prononcées par l’Être infiniment grand et miséricordieux que je lui avais enseigné à adorer. Son âme tout entière se révoltait à cette seule idée, » Une autre fois encore, l’évêque de Natal voulait consacrer au ministère de l’Évangile un Zoulou, le même peut-être que celui dont il vient d’être question, homme parfaitement propre à l’aider dans ses travaux de missionnaire, et il était obligé d’y renoncer parce qu’il aurait fallu le faire souscrire à des confessions de foi dont les distinctions subtiles ne peuvent pas même être traduites dans la langue de Natal, et lui faire déclarer qu’il croyait à toutes les Écritures, tandis qu’il ne les avait pas même lues et n’avait pu les lire tout entières.

On s’explique maintenant ce qui est arrivé au docteur Colenso. Obligé par les devoirs mêmes de sa vocation d’envisager de près les difficultés dont il s’était débarrassé jadis en se réfugiant dans des considérations générales ou en se distrayant par des occupations actives, tenu de résoudre pour autrui les objections dont il avait éludé la force lorsqu’il s’agissait seulement de les résoudre pour lui-même, appelé à se rendre un compte exact du pour et du contre, il avait senti tout le poids de la critique. Il avait alors eu recours aux commentateurs, il s’était adressé à l’Allemagne, aux plus célèbres des défenseurs de l’orthodoxie, aux plus savans des apologistes : il avait lu Hengstenberg, Hävernick, Keil, Kurtz; mais ici encore il avait éprouvé ce que tant d’autres ont éprouvé de nos jours : les auxiliaires dont il cherchait l’appui s’étaient tournés contre lui. Il avait été étonné de la faiblesse de leurs argumens, irrité de l’arbitraire de leurs procédés, scandalisé du manque de droiture qui perce dans leurs plaidoyers. « Est-ce donc là, se disait Colenso, le dernier mot de la science dans la question dont il s’agit? Est-ce là tout ce que la sagacité la plus aiguisée, jointe aux connaissances les plus étendues, trouve à répondre aux doutes soulevés par la critique? Une cause ainsi défendue n’est-elle pas une cause perdue? »

Le point auquel en était arrivé Colenso est le point de séparation entre deux classes d’esprits. Il y a des hommes qui croient ce qu’ils veulent, et il y en a qui croient ce qu’ils peuvent. Ceux-ci s’attachent au vrai uniquement parce qu’il est vrai ; ceux-là font, du bien, du beau, de l’utile, le signe auquel ils le reconnaissent. Tandis que les uns sont résignés d’avance à toute vérité et à toute conséquence de la vérité, les autres, avant de recevoir une opinion, commencent par se demander si elle est commode ou sûre, si elle ne dérange pas leur foi ou n’affaiblit pas leurs principes. Les uns partent de ce fait que le vrai est ce qu’il peut, qu’il est souverain d’ailleurs, que c’est à la société, à la religion, à la morale même, de s’arranger avec lui, qu’il est après tout la source et le fond de ces choses, et que