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les idées les plus chères au genre humain, si elles ne peuvent se concilier avec la réalité, n’ont pas le droit d’être. Les autres reconnaissent également en principe l’identité du juste et du bon avec le vrai, mais ils diffèrent des précédens en ce qu’ils partent des conséquences sociales ou morales d’une proposition pour déterminer si elle est vraie ou fausse. Ces derniers passent généralement pour les vrais croyans, tandis que les premiers sont rangés parmi les sceptiques; il n’est pas de jugement plus injuste : on a beau s’inscrire en faux contre un grand nombre d’opinions reçues, de dogmes établis, on n’est pas incrédule pour cela, si l’on est conduit par le désir et animé par l’espoir d’arriver à la vérité. Le sceptique est bien plutôt celui qui préfère quoi que ce soit, sa commodité, sa sécurité, son âme même, à la vérité, celui qui, subordonnant le vrai à l’utile, montre assez par là que l’objet de sa foi c’est l’utile plutôt que le vrai.

On peut exprimer la même distinction d’une autre manière encore en disant qu’il y a plusieurs degrés dans la sincérité. Le manque de sincérité n’a pas toujours conscience de lui-même. Conscient, il s’appelle duplicité, mensonge, fourberie; inconscient, il ne trompe les autres qu’en se trompant tout le premier : il est, à cet état, l’essence de la légèreté, de l’esprit de parti, du fanatisme; mais il y a aussi telle duplicité qui n’est qu’à demi consciente, qui ne néglige pas seulement la vérité, mais qui la craint et l’évite. Or, il ne faut pas s’y tromper, on peut redouter la vérité pour des motifs corrompus; mais on peut la redouter aussi pour des motifs qu’il est difficile de blâmer. Il y a des gens qui n’en veulent pas parce qu’elle les condamne, d’autres parce qu’elle les gêne, d’autres enfin parce que leur vie morale est liée à des croyances dont ils ne peuvent se séparer, et qui leur sont dès lors aussi chères que l’honneur et le devoir. Insensibles à la surprise et au charme des découvertes intellectuelles, peu curieux de leur nature, peu spéculatifs, peu critiques, ils n’éprouvent pas ce besoin qui agite les autres et qui les porte à tâter sans cesse le pouls à leurs convictions pour savoir si elles vivent encore et comment elles se portent. Les objections ne les atteignent point. Leur attention est ailleurs. Ils sont sincères, bien que d’une sincérité relative; ils aiment le vrai, mais avec un sous-entendu : c’est qu’ils le possèdent déjà, et avec une condition, c’est que leurs recherches s’arrêteront toujours en-deçà des principes auxquels ils ont déjà prêté serment de fidélité.

Le docteur Colenso, sans être un esprit très indépendant ou très audacieux, appartient à la classe de ceux qui sont esclaves du vrai et qui ne savent pas croire par un acte de volonté. Il s’est trouvé placé en face de récits contradictoires, de faits impossibles, de don-