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quelques tasses de porcelaine finement peints et décorés, de quelques coffrets ingénieusement fouillés et travaillés, de quelques petits bronzes savamment sculptés. Vous rêvez monstres et dragons, histoire naturelle fabuleuse, magots et poussahs transformés en mandarins; vous aimez à prêter à la population de l’empire du milieu une manière de penser et de sentir qui soit en rapport avec l’apparence bizarre de ces fantoches peints, sculptés ou brodés, dont la contemplation éveille si gaîment votre imagination et ressuscite en vous pour un instant, à quelque âge que vous soyez parvenu, ce rire innocent et ce naïf sentiment du bouffon que vous avez perdu avec la première enfance. Que peuvent bien sentir et penser des êtres humains faits comme ces magots et arrondis comme ces poussahs? Quel charivari désopilant ce doit être que la musique de leurs passions! Sans doute le monde doit se réfléchir dans leur cerveau en images extravagantes, et leur cœur doit contenir des fibres qui n’existent pas dans le nôtre. Hélas ! vous êtes la dupe des illusions qu’ont fait naître en vous les plus habiles artisans et les plus ingénieux décorateurs qui soient au monde. Cette humanité et cette nature drolatiques n’existent qu’en apparence et en peinture, elles ont été créées pour l’ornement des demeures du peuple le plus positif et le plus sagace de l’univers avant de devenir la parure de vos cheminées et le luxe de vos salons. Ces bizarreries peintes et sculptées qui vous en faisaient espérer tant d’autres signifient simplement que le peuple chinois comprend mieux que vos compatriotes les conditions véritables de l’art de la décoration.

Il y a bien, il est vrai, quelques singularités bouffonnes dans les mœurs et les habitudes de ce vieux peuple; mais là encore il faudrait prendre garde d’être la dupe des apparences. A les regarder de près, ces singularités s’expliquent fort naturellement, et nous n’aurions point besoin de beaucoup chercher pour en trouver de semblables dans l’histoire de nos sociétés. La fête des lanternes et le culte du dieu de la porcelaine ne sont pas beaucoup plus étranges que certaines fêtes et certains dieux lares du paganisme agonisant, et le point d’honneur que mettent les Chinois à se préparer une belle sépulture a certainement son analogue parmi nous. Le Chinois travaille et économise pour se fabriquer un beau cercueil ; à première vue, cette préoccupation semble absurde et prête à rire. Cependant, puisque nous-mêmes nous tenons pour le dernier degré de la misère qu’un homme meure sans laisser de quoi se faire enterrer, pourquoi nous étonnerions-nous que le Chinois tienne à s’épargner cette espèce d’opprobre et de honte? D’ailleurs, après y avoir bien réfléchi, il me semble que toutes ces singularités sont autant de preuves de la nature éminemment positive et raisonnable