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naîtront ce singulier dénûment qu’une longue civilisation finit par faire subir à l’âme. L’homme s’aperçoit un jour de sa rudesse, et il en a honte; il raffine, il raffine, et de subtilité en subtilité il finit par devenir chinois par frayeur de rester barbare.

Ces raffinemens de la sensibilité et de l’intelligence chinoises, parfois d’une grande délicatesse, sont tellement subtils qu’ils deviennent presque insaisissables. Ainsi ces poètes ont un sentiment très vif, très juste de la nature, et ils sont passés maîtres dans l’art de la description; mais la vivacité et la justesse de leur sentiment ne se découvrent qu’aux lettrés qui sont rompus à toutes les ruses du talent. Les Chinois semblent avoir l’horreur des tons tranchés et des couleurs éclatantes, des formes pleines et robustes; on dirait que cela leur paraît trop commun et trop grossier. Ils aiment les couleurs tendres et fines, les tons pâles, doux, mélancoliques, et la nature qu’ils peignent est toujours une nature grêle et légèrement maladive, ou délicate et svelte. Ils ont une préférence marquée pour deux saisons, le printemps et l’automne : presque jamais ils ne tracent de peintures de l’été; il y a là trop d’opulence, trop d’ardeurs, trop de vie expansive et joyeuse, trop de couleurs voyantes pour leur pinceau ami du raffinement et leur imagination amie d’une douce tristesse. Le printemps et l’automne leur conviennent mieux. Les frissonnantes délicatesses d’avril et les maladives délicatesses d’octobre, les couleurs tendres des jeunes pousses, les haleines pénétrantes des vents que le soleil n’a pas encore eu le temps de réchauffer, les pâleurs de l’année à son aurore, les rougeurs de l’année à son déclin, voilà ce qu’ils comprennent et rendent merveilleusement. Leurs descriptions de la nature sont les découpures les plus adroites que je connaisse; des choses, ils n’enlèvent que les surfaces gracieuses, et il semble que ces surfaces ne soient jamais assez minces à leur gré. Ils choisissent leurs images parmi les phénomènes les plus vaporeux et les plus diaphanes, un brouillard léger, une lumière agile qui court sur la pointe des brins d’herbe, et leur subtilité raffine encore tellement ces images déjà si incorporelles qu’elles arrivent à en être métaphysiques. La tendresse que leur inspirent les fleurs et les plantes, la pitié qu’ils ressentent lorsqu’ils les voient se faner, l’inquiétude avec laquelle ils se demandent ce que devient leur âme, sont les fantaisies d’imaginations bizarres et fatiguées sans doute, mais qui aiment sincèrement et comprennent vivement la nature. On a dit que les Chinois avaient un sentiment enfantin de la nature; c’est un sentiment paternel qu’il faudrait dire plutôt. Ils ne choisissent parmi ses beautés que celles qui ont la grâce de l’enfance ou qui peuvent inspirer une douce sympathie, et ils leur adressent les complimens, les ironies