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table religion de l’homme civilisé? Les critiques ethnographes qui établissent si bien les preuves de notre filiation aryenne reculeraient certainement d’horreur devant la morale des races dont nous sommes sortis et qu’ils exaltent si fort au détriment des peuples de l’extrême Orient, lesquels professent au contraire la seule morale que leurs détracteurs voulussent reconnaître. Comment se fait-il donc que les seuls peuples qui nous soient parens par l’âme sont précisément ceux qui, selon la critique, nous sont étrangers par la race, les Juifs et les Chinois?

Notre seconde question s’adresse aux philosophes de la démocratie européenne moderne. — philosophes, leur dirai-je, je veux bien entretenir les mêmes espérances que vous; mais avez-vous bien réfléchi sur l’enseignement que nous donne le sort des institutions de la Chine ? Ce peuple nous ressemble, non-seulement par la tournure de son intelligence, par sa morale humaine, par sa philosophie pratique, mais par son organisation sociale et ses institutions politiques. Assurément vous préférez à toute autre civilisation la civilisation des peuples modernes, et assurément encore vos deux favoris parmi ces peuples sont les peuples anglais et français, que vous regardez l’un comme le pionnier, l’autre comme le missionnaire de cette civilisation qui vous est chère. Eh bien! il se trouve que le peuple chinois possède exactement les qualités de ces deux peuples, sans avoir leurs défauts. Il est pacifique comme l’Anglais, et tient, comme lui, la guerre pour le pire des fléaux; il aime, comme lui, le commerce et l’industrie; il a porté, comme lui, l’agriculture au plus haut point de perfection ; il a tout le génie pacifique de l’Angleterre, sans avoir cet élément féodal et aristocratique qui est la seule chose qui vous déplaise dans ce grand pays. Et d’autre part le Chinois est démocrate comme le Français, sans avoir, comme lui, cet esprit agressif et guerroyant qui fait courir tant de dangers à cette démocratie même qu’il préfère à tout! Mais cette démocratie que nous avons établie à grand’peine, et qui existe chez nous depuis soixante ans seulement, est organisée en Chine depuis des siècles, et son origine se perd dans le lointain des âges. Cette démocratie n’est point imparfaite ni rudimentaire; c’est la démocratie la plus savante, la plus compliquée, la plus semblable à celle que vous élaborez et que vous vantez. Quelle est celle de nos institutions politiques que les Chinois ne possèdent pas? Ils ont notre centralisation et notre hiérarchie administrative, ils connaissent toutes les formules de notre philosophie démocratique. Qu’y a-t-il qui soit plus près de nos idées que cette institution du concours qui chez eux sert de base au recrutement des fonctionnaires, à l’organisation des fonctions sociales? Assurément votre idéal démocratique a