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de ses efforts pour revivre. Il est vieux comme la pensée d’ambition et d’injustice qui a cru pouvoir impunément, il y a un siècle, faire disparaître un peuple; il a suivi depuis lors la politique européenne dans ses vicissitudes, et s’est mêlé à elle comme un embarras, comme un remords. Il n’est pas un moment, toutes les fois que le continent s’est remué, où il n’ait reparu. Il a donc une raison d’être générale et permanente; mais en même temps, dans ce que j’appellerai sa génération contemporaine, dans ses manifestations nouvelles, il se lie à des circonstances plus immédiates, plus saisissables. Évidemment l’insurrection qui vient d’éclater en Pologne est la fatalité d’une situation; elle est le résultat de vingt-cinq ans d’un régime où la compression a été poussée jusqu’aux dernières limites, de sept années perdues en temporisations et en contradictions depuis l’avènement de l’empereur Alexandre II, de deux années d’une agitation morale qu’on n’a su ni apaiser ni désarmer par une libérale et intelligente politique. L’erreur de la Russie a été de fermer les yeux sur cette situation, de penser que tant qu’elle avait la force, elle avait le droit, que tout ce qui se passait en Pologne n’était que l’œuvre de quelques conspirateurs, qu’il n’y avait, pour faire la paix, au lieu de supprimer les causes d’agitation, qu’à supprimer les agitateurs; son erreur plus grande encore au point de vue des événemens actuels, — erreur de tous les pouvoirs troublés, — c’est d’avoir eu un certain jour cette préoccupation fixe qu’entre ce qu’elle appelle le parti révolutionnaire polonais et le parti révolutionnaire russe il y avait une connivence, un travail commun de conjuration qui devait éclater au printemps, au moment où la question des paysans allait renaître dans l’empire. Elle a été ainsi conduite à cette dangereuse pensée de devancer elle-même l’heure d’un combat qu’elle redoutait, de se jeter sur la foi d’un soupçon au milieu d’un travail présumé d’organisation insurrectionnelle, de frapper un grand coup sur la Pologne avant d’avoir à se mesurer avec d’autres dangers intérieurs. De là ce recrutement, devenu dans les mains de ceux qui l’ont conçu et exécuté une vraie loi des suspects, combiné merveilleusement de façon à diviser les classes en exemptant les populations rurales et en mettant la population des villes à la merci de la police, seule chargée de choisir, de désigner les conscrits, c’est-à-dire les victimes. La Russie n’a point vu qu’en agissant ainsi elle abdiquait d’abord le rôle d’un gouvernement régulier, et de plus que, pour détourner une insurrection possible, nullement certaine au printemps, elle en provoquait une sûrement, à l’instant même, en donnant à l’explosion d’un peuple une raison nouvelle et mille fois légitime. C’est ce qui est arrivé.

C’est dans la nuit du 15 janvier que le recrutement s’exécutait à