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que des journaux anglais ont décrite d’un trait ineffaçable. Dès la première heure, la ville était occupée militairement. Les troupes campaient sur les places, et des chaînes de factionnaires reliaient tous les postes, tandis que des patrouilles de cavalerie battaient les rues. La ville ainsi enveloppée dans ce réseau stratégique, l’opération commençait. On envahissait brusquement les maisons, on forçait les portes qui ne s’ouvraient pas, et on tombait dans l’intérieur des familles. Chaque officier de recrutement, suivi de trois hommes de police et d’un piquet de soldats, procédait sommairement; il avait sa liste, et il lui fallait son nombre de conscrits : pour ceux qui manquaient, il prenait les pères, les frères, les enfans, sans excepter les malades et les infirmes. On mettait même la main sur les passans attardés dans les rues sans connaître leur nom, et tout était poussé pêle-mêle vers la citadelle. Je songeais un de ces jours, en voyant passer tous ces conscrits français de libre et joyeuse humeur, portant à leur chapeau enguirlandé le numéro qui les faisait soldats, je songeais à cette autre scène d’un recrutement procédant comme une proscription, s’abattant la nuit sur les familles, violant le foyer pour enlever à un peuple sa jeunesse et sa force. Il n’y eut pourtant d’abord aucune résistance à Varsovie; elle eût été impossible. Seulement une sourde irritation survivait à la scène du 15 janvier, et la pensée d’une protestation naissait bientôt en présence de cette publication officielle où le gouvernement se complaisait à célébrer sa victoire nocturne en annonçant à l’Europe que le recrutement « s’était effectué dans une tranquillité parfaite, » que les conscrits enfermés à la citadelle « montraient les meilleures dispositions et même de la gaîté. » Alors tout changeait rapidement. Jusque-là les évasions avaient été peu nombreuses; elles commencèrent à se multiplier. Ceux qui avaient réussi à se soustraire à la conscription s’échappaient de tous côtés. Ils partaient sans argent, n’ayant que les vêtemens qu’ils portaient sur eux; d’armes, il n’en était point question. Qu’allaient-ils faire? Ils ne le savaient encore, ils fuyaient. Les uns, qui s’étaient donné rendez-vous à Blonié, près de Varsovie, se dirigeaient vers les forêts à l’ouest de la Vistule ; les autres se rassemblaient aux environs de la petite ville de Serock, au confluent du Bug et de la Narew. Dès le 22 janvier, les premiers engagemens éclatèrent. Le gouvernement ne se tint pas encore pour averti : il voulut poursuivre l’exécution du recrutement jusque dans les provinces le 27 janvier; mais cette fois il venait trop tard. Toute la jeunesse avait pris la fuite et s’était dispersée dans les campagnes, dans les bois. Il n’y avait alors du reste ni plan, ni organisation ; la nécessité d’une défense commune fit de tous ces groupes de fugitifs des bandes qui en un instant sillonnèrent le royaume de la fron-