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tière de la Lithuanie au grand-duché de Posen, qui remplirent les gouvernemens de Plock, de Podlachie, de Lublin, de Sandomir, fatiguant les colonnes russes lancées contre elles, tantôt se dérobant, tantôt faisant face avec une énergie désespérée, et voilà comment naissait cette insurrection, n’ayant à l’origine d’autre mobile que d’échapper à une proscription, puis finissant par relever dans son camp le drapeau de la nationalité polonaise, ramené au combat par des légions de soldats improvisés.

Dans ce drame étrange, on peut donc dire que c’est la nature humaine outragée qui rebondit en quelque sorte la première sous un excès d’oppression, auquel vient se mêler une imprévoyante ironie; le patriotisme vient ensuite comme pour donner la force, le lien et préciser le but, et ce qui n’était la veille qu’une fuite devant le recrutement devient le lendemain un vaste et formidable soulèvement ayant ses mots d’ordre, ses points de ralliement et ses chefs, envahissant plus ou moins ou remuant toutes les contrées de l’ancienne Pologne soumises à la Russie, paraissant partout à la fois, au nord entre Vilna et Dunabourg, dans les marais de Pinsk, dans la Lithuanie comme dans toutes les provinces du royaume. Ce que n’aurait pu faire le travail des sociétés secrètes, continué pendant des années, un mouvement de désespoir le faisait d’un seul coup en jetant dans les forêts toute la population jeune des villes, en créant ces bandes innombrables, dénuées d’armes il est vrai, réduites à se battre pour en avoir, n’ayant à opposer à des troupes régulières et à l’artillerie que la faux traditionnelle du paysan polonais, ou même quelquefois des bâtons ferrés, mais animées d’une sombre énergie et rapidement formées à la discipline sous la pensée de vendre plus chèrement leur vie.

Dès lors s’engage cette lutte aux mille péripéties, où la répression effarée et irritée va jusqu’aux plus terribles excès, où l’insurrection apparaît avec des chances et sous des couleurs diverses : précaire et toujours menacée du côté du grand-duché de Posen, où la Russie trouve la connivence de la Prusse; enveloppée d’une sorte de mystère du côté de la Lithuanie, où l’intensité du combat ne se révèle que par les proclamations et les bulletins russes; forte et active dans le sud du royaume, où, appuyée sur la frontière de la Galicie et sur la neutralité de l’Autriche, retranchée dans une contrée montagneuse et boisée, elle se défend à outrance, reprenant son élan quand on la croit vaincue. Ces bandes, formées à la hâte et en quelque sorte d’elles-mêmes, devenues bientôt toute une armée mobile avec ses compagnies de faucheurs, ont eu rapidement leurs chefs audacieux et habiles : les Langiewicz, les Jesioranski, les Bochdanowicz, les Frankowski, les Padlewski, les Lewandowski;