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phétiques, qui semblent dater d’hier, qui sont l’histoire de toute une période : «L’expérience a prouvé que ce n’est pas en cherchant à anéantir les usages et les coutumes des Polonais que l’on peut espérer assurer le bonheur de cette nation et la paix de cette partie importante de l’Europe. On a tenté vainement de leur faire oublier par des institutions étrangères à leurs opinions et à leurs habitudes l’existence dont ils jouissent comme peuple, et même leur langage national. Ces essais ont été assez souvent répétés et reconnus infructueux. Ils n’ont servi qu’à faire naître le mécontentement et le sentiment pénible de la dégradation de ce pays, et ne produiront jamais d’autres effets que d’exciter des soulèvemens et de ramener la pensée sur des malheurs passés. » Et à son tour, tout récemment, lord Palmerston disait en présence de l’insurrection actuelle : «Je ne puis concevoir qu’un souverain doué des qualités dont je crois doué l’empereur Alexandre ne voie pas qu’un succès militaire dans la lutte où il est malheureusement engagé en ce moment avec la nation polonaise serait une immense calamité. Quel serait le résultat, si, avec une force écrasante de cent mille hommes, il arrivait à réprimer entièrement cette grande insurrection? Il serait le maître d’un pays dont les plaines seraient inondées de sang, d’un pays où il n’y aurait plus que des ruines fumantes de villes et de villages. Un succès de ce genre peut-il être jugé désirable?... » Ce que fera l’Angleterre, je l’ignore, et d’ailleurs sa politique peut se modifier avec les circonstances et les événemens; ce qu’elle pense dès ce moment, on le sait, et si son concours actif suivait la mesure de son concours moral, on aurait sans doute fait un grand pas.

La question, à vrai dire, est aujourd’hui moins en Angleterre qu’en Autriche. C’est à l’Autriche de prendre un parti devant cette situation si nouvelle, et par ses traditions, par son passé, par la nature de son rôle et de ses intérêts, elle est en quelque sorte mise sur la voie d’une résolution qui peut exercer une influence décisive. Plus que toute autre des puissances copartageantes de la Pologne, elle a désavoué toujours la pensée première du démembrement, et son souverain actuel lui-même a un jour appelé, dit-on, la Galicie « un bien mal acquis. » Dans toutes les circonstances, elle s’est montrée non pas empressée, mais disposée ou résignée à sacrifier ses possessions polonaises, qui sont pour elle comme un point douloureux, qui lui créent une contiguïté trop pénible, trop onéreuse avec la Russie, et c’est une maxime de plus d’un de ses hommes d’état de désirer tout ce qui peut la mettre à l’abri de ce voisinage incommode. Il y a ici seulement un fait curieux à observer : c’est une des puissances maîtresses de la Pologne qui se trouve conduite par l’instinct de sa situation à ne point reculer devant la transfor-