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Puis vint le recruteur, pourvoyeur homicide
Des légions du tsar et dont la main livide
S’abattit nuitamment sur la fleur du pays :
On voulait dépouiller le sol de sa parure,
Et, des bourgeons faisant pleuvoir la neige pure,
Aux arbres pour longtemps ôter l’espoir des fruits.

Alors il fallut bien revenir à la poudre.
Remanier le glaive et rebraver la foudre,
Et, mourir pour mourir, en Pologne il était
Mieux encor de tomber libre et fier sous les balles
Que de finir ses jours loin des terres natales,
Aux rangs de l’étranger comme un soldat valet.

Alors tout homme ayant le feu de la jeunesse
Dans les veines quitta ses proches en détresse,
Et jaloux d’accomplir le grand, le saint devoir.
Le bâton à la main ou la faux sur l’épaule,
Se jeta dans les bois pour y jouer le rôle
De sanglant partisan au corps du désespoir.

Alors les plus beaux faits que l’histoire enregistre
Reparurent soudain sur ce terrain sinistre,
Et l’on vit, comme aux jours du vieux Léonidas,
Deux cents nobles enfans au salut d’une armée
Se dévouer, et tous de la gueule enflammée
Des canons dévorans recevoir le trépas.

Gloire, gloire à ces morts!... Mais quelle barbarie!
Ah ! comme je voudrais que ma chère patrie
Arrêtât pour toujours ce duel assassin,
Et, couvrant la victime avec sa forte égide,
Au nom du bien public et de sa loi rigide.
Contraignît le voleur à rendre son larcin !

Oh! comme je voudrais que la fière Angleterre
A la France s’unît par un accord sincère.
Et que la libre voix de son haut parlement
Dît au tsar : « C’est assez d’oppressives alarmes;
Un prince de nos jours ne peut vivre de larmes
Et de sang se gorger impitoyablement ! »