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confuses mêlées, les tournois de l’agiotage, mais tout cela fort trouble.

Je vais, dans cette foule, saisir quelques individus. Cela sera plus clair. Leurs vies sont instructives. C’est le petit, c’est le menu ; mais il n’y a rien de petit pour qui cherche et qui veut comprendre. On voit alors et on distingue (parfois plus qu’on ne veut). La vie du temps s’y montre et devant et derrière, par le propre et par le malpropre, par tous les rangs mêlés et tous les métiers confondus, des balayeurs aux princes, des Holbak aux Condé. C’est ici l’âge d’or. Plus de prince et plus de valet : la fraternité du ruisseau.

Le balayeur. — Il y avait dans la boutique d’un changeur un bon gros Allemand qui s’appelait Holbak. Il faisait les fortes besognes, remuait, portait des sacs, balayait le devant de la porte. On le croyait trop bête pour friponner. Des banquiers le prirent pour domestique ; puis, voulant un homme de paille et le plus ignorant, qui ne sût que signer et signât sans comprendre, ils lui achetèrent (ce qui alors était fort peu de chose) une charge d’agent de change ; mais, voilà que l’argent lui éclaircit la vue : il vit que tout le secret était d’acheter à vil prix les titres du rentier désespéré et de les vendre à bénéfice. Il fit cela tout comme un autre et mieux, car il réalisa à temps, et envoya tout en Allemagne.

Le laquais. — Les Anglais, qui sans paraître, sournoisement, travaillaient à la baisse, devaient vendre des actions par un agent à eux. Il se trouva malade, mais il avait un domestique de confiance, son laquais Languedoc. Il l’envoie à la Bourse. Languedoc doit vendre au cours du jour 8,000 livres par action, mais il voit que les actions montent ; en homme intelligent, il attend, vend à 10,000, et garde pour lui la différence, qui était de 500,000 livres. Huit jours après, il avait 10 millions, et s’appelait M. de La Bastide. Six mois après, il était ruiné, reprenait du service avec son nom de Languedoc.

La brocanteuse. — Un jour entra chez Law une bonne femme de province, une Wallonne de la Meuse, une dame Chaumont. Elle implore sa justice dans un gros débat, et elle parle si bien d’affaires que Law l’appuie. C’était sur la frontière une brocanteuse de dentelles, qui, au passage des armées, s’était intéressée avec deux fournisseurs et leur avait fait des avances. Ces gaillards (un soldat gascon et un barbier de régiment) avaient fort réussi dans les fourrages, et le barbier, se disant noble, avait eu l’industrie d’obtenir une demoiselle de Saint-Cyr et la protection de Versailles. Depuis, les deux associés, travaillant à Paris, ne songeaient plus à payer la Chaumont. Elle vient. On ne veut la payer qu’en billets d’état, qui alors perdaient 60 pour 100. Cette femme courageuse accepta, sachant ou devinant le nouveau miracle de Law, qui décupla la valeur