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seuls, d’avoir derrière eux pour réserve l’armée de la bourse, d’être appuyés du monde des banquiers, courtiers et joueurs. Leur chef, M. le Duc, pesait sur le conseil. Un arrêt du conseil, le 25 septembre, rouvre la vente des actions, interrompue trois jours. Ces actions (le bien des rentiers), on peut les vendre à tout venant pour des billets de banque. Dans ce cas, les acheteurs paieront un droit de 10 pour 100, que le rentier ne paiera pas. Avec les bénéfices énormes qu’ils faisaient, cela ne les arrêtait guère.

Donc la vertu de Law avait duré trois jours. Le rentier, désormais sacrifié à l’agioteur, fut refoulé dans le désespoir ; tous passaient ayant lui. Le trésor lui faisait sa liquidation lentement, lentement on lui délivrait le reçu nécessaire. Quand il avait passé deux nuits, trois nuits à camper dans la rue, il était prêt à jeter tout. Les besoins aussi se faisaient sentir, et beaucoup ne pouvaient attendre. Là surviennent à point des gens compatissans pour le conseiller ou l’aider. Que ne vend-il ses titres ? Il se rend et vend à vil prix. C’en est fait. Et l’avenir même dès lors lui est fermé. On aura beau émettre de nouvelles actions en faveur des rentiers, il n’est plus le rentier. On arrive en son lieu avec les titres qu’il a donnés pour rien. Les grands voleurs, princes, ducs et banquiers, se présentent hardiment comme créanciers de l’état. Va donc, va à la Seine, ou mourir sur la paille !

Successeur du rentier, bien armé d’actions, fort d’un gros portefeuille, le joueur peut se lancer à la Bourse. Les rois de la coulisse, qui font les arrêts du conseil, qui dominent la compagnie, qui, par les nouvelles d’Espagne ou de Londres, machinent tous les jours les variations de demain, enfin qui font le cours et jouent les yeux ouverts, — ces gens d’en haut doivent bien rire des prétendus hasards de la rue Quincampoix. Au fond, c’est l’amusement barbare du XVe siècle, la farce des tournois d’aveugles dont on régalait Charles VI ou Philippe le Bon. On riait à mourir de voir ces vaillans imbéciles, fiers de leurs longs gourdins, n’y voyant goutte, d’autant plus furieux, se cherchant à tâtons, parfois frappant dans le vide, ou assommant la terre, parfois s’assenant d’affreux coups et se tuant à coups de bâton.

Les habiles de toute province et de tout pays de l’Europe, sans compter nos Gascons, Dauphinois, Savoyards, avaient pris poste de bonne heure, avaient loué toutes les boutiques pour y tenir bureau. Le long de l’étroite rue (telle aujourd’hui qu’elle fut) se heurtait, se poussait par le ruisseau la foule des acheteurs, vendeurs, troqueurs, spéculateurs, dupes et fripons. Point de seigneurs, mais force gentilshommes, force robins, des moines, jusqu’à des docteurs de Sorbonne. Nulle pudeur, la fureur à nu : injures, larmes, blasphèmes,