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Cependant M. le Duc arrivait indigné de Chantilly. Il avait encore les mains pleines d’actions. Il fit au régent une scène terrible et ne quitta pas le Palais-Royal qu’on n’eût amendé le « tort qu’on lui faisait. » On lui promit quatre millions. À ce prix, on dut croire qu’il couvrirait la Banque, défendrait Law au parlement. Il alla y siéger, mais se garda de s’embourber en justifiant l’innocent. Le parlement discutait sa question favorite, celle de pendre Law et les chefs de la compagnie. Le régent fut si alarmé que non-seulement il révoqua l’édit, mais demanda au parlement une commission qui s’entendrait avec lui sur les affaires publiques. Il lâcha Law décidément, le destitua, lui donna une garde, mais pour le tenir prisonnier (29 mai 1720).

L’effet était produit, la confiance perdue sans retour, notre Bourse enfoncée. L’édit du 21 mai dut valoir à Dubois les vifs remercîmens de l’Angleterre, une couronne civique de la Bourse de Londres. Toute la spéculation s’embarque, passe le détroit. L’action de Blount monte en mai de 130 à 300, en août jusqu’à 1,000 ! A lui maintenant le tréteau ! Il crie plus fort que Law. Law promettait 40, et Blount assure 50 pour 100 ! Il croyait dans sa compagnie concentrer tout ; mais sur ce gras terrain les champignons, j’entends les compagnies nouvelles, poussent effrontément chaque nuit, et chacune a ses dupes. Ce peuple taciturne est dans certains moment âprement imaginatif. Des compagnies se forment pour le mouvement perpétuel, d’autres pour engraisser les chiens, trafiquer des cheveux, tirer l’argent du plomb, repêcher les naufrages, dessaler l’océan, etc. Tout n’est pas vain dans ces affaires. L’héritier présomptif se met dans les mines de Galles ; sa compagnie perd tout, mais il gagne un million. « Tous jouent. Le puissant duc tricherait pour un petit écu. Ministres et patriotes oublient le parlement ; leur lutte est à la Bourse. Le lord-juge agiote. Le pasteur (loup cervier) mord au sang son troupeau. À la caisse, on voit (doux accord !) la grande dame, duchesse et pairesse, qui fraternellement touche avec son laquais[1]. »

L’originalité de Blount, le spéculateur puritain, c’est qu’avec lui on joue selon la Bible. Les saints des derniers jours ne peuvent agioter qu’en langage sacré. La hausse est en David, la baisse en Jérémie. Stanhope aurait voulu qu’il donnât à la Banque quelque part au gâteau. Blount répondit, comme la bonne mère à la mauvaise dans le jugement de Salomon : « Oh ! ne coupons pas notre enfant ! »

  1. Pope.