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des ressources immenses ; mais ses trésors de marchandises dispersées, mais ses terrains à vendre, mais ses trois cents navires, ne mettent pas dans la caisse de quoi apaiser cette foule. Le 5, devant ces scènes affreuses, cette espèce de siège que soutenait la Banque, il regarda sa femme comme veuve, et pour elle obtint du régent, non faveur, mais restitution, le titre d’une rente exactement proportionné au capital qu’il avait apporté en France, « rente qui ne pourrait être saisie pour aucune cause[1]. » Ainsi nul bénéfice, nul avantage stipulé. Pour cet immense effort de cinq années, il ne réclamait rien.

L’honneur de Law était relevé, sinon sa caisse. Le régent voyait trop les fruits du beau conseil de d’Argenson. Dubois sacrifia celui-ci, se lava de complicité en se chargeant de le punir. Lui-même il alla lui ôter les sceaux. Law, réhabilité, eut l’honorable charge d’aller, dès le 7 juin, à Fresnes chercher, rappeler le bon chancelier d’Aguesseau, dont le nom, synonyme d’honnêteté, donnerait espoir au public, plairait au parlement, ferait bien au crédit. Ce que l’on pouvait craindre, c’était que le digne janséniste hésitât pour venir orner le triomphe des ultramontains, la chute de l’église gallicane, la farce impie du sacre de Dubois. Law fut persuasif, et d’Aguesseau faiblit. Comme Law, il était père de famille, et sa famille s’ennuyait de l’exil. Il revint juste à point pour voir les noces de Gamache que Dubois fit pour célébrer son sacre (9 juin). Des miracles s’y virent de dépense et de mangerie. Une poire coûtait trente livres. Toute la cour et tout le clergé mangeaient, buvaient, riaient. L’humanité frémit. L’effrontée bacchanale s’entendait au jardin funèbre, dans cette banque à sec où l’on s’étouffait à deux pas.

Juillet fut un mois de terreur. Barbier et Buvat font frémir. Buvat, comme employé de la Bibliothèque du roi, vit de bien près les choses, entrant tous les jours par cette terrible porte. Le jardin menait d’une part à la Bibliothèque, de l’autre à la galerie basse où étaient les bureaux, la caisse de la Banque. Pour aller à la caisse, on passait par une enfilade de sept ou huit toises entre le mur et une barricade de bois. Les ouvriers robustes, pour prendre un rang meilleur, se mettaient sur la barricade, et de là se lançaient à corps perdu sur les épaules de la foule ; les faibles tombaient, étaient foulés, étouffés, écrasés. D’autres filaient sur le mur du jardin, par les branches des marronniers, par des décombres. Buvat se trouva une fois, au passage, pris comme à un étau de fer. Une autre fois un cocher fut tué à côté de lui d’un coup de feu.

Dans la nuit du 16 au 17, il y a déjà quinze mille personnes. On

  1. Lettre de Mme Law, 5 avril 1727, communiquée par M. Margry.