Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

juste et salutaire. L’évêque d’Hippone, défendant les lois dont nous parlons, écrivait à l’un de ses collègues schismatiques : « L’église de Dieu connaît deux sortes d’ennemis également dangereux, quoique opposés, les adversaires déclarés et les indifférens. Ces lois que tu blâmes enchaînent les premiers à la manière des fous furieux; elles secouent les seconds, et les tirent d’une léthargie funeste pour les faire veiller au salut de l’unité. Nous en avons ranimé ainsi plus d’un, et loin de nous taxer de cruauté, ils nous remercient aujourd’hui de les avoir arrachés à un sommeil de mort. »

La loi du 14 novembre, relative aux généraux barbares, jeta dans l’armée romaine la même perturbation que les deux autres dans l’ordre civil. Ainsi que nous l’avons dit, elle privait de leurs grades les officiers non catholiques, ou du moins elle leur défendait de paraître devant le prince avec leurs insignes, c’est-à-dire qu’elle les dépouillait de leur dignité en leur réservant leur traitement : c’était une sorte de mise en disponibilité. Les officiers barbares au service de Rome étant presque tous hérétiques ou païens, cette mesure donnait satisfaction au parti militaire romain, mais en même temps elle désorganisait l’armée, telle que les besoins publics l’avaient constituée depuis un demi-siècle. Frappés dans leur honneur et dans leur fortune, ces vieux généraux barbares, qui avaient fait les guerres de Julien, de Valentinien, de Théodose, arrêté Radagaise à Fésules sous Stilicon et battu Alaric à Pollentia, déposèrent leur baudrier de commandement et ne parurent plus au palais. Beaucoup quittèrent complètement le service de Rome pour passer chez les Goths, d’autres restèrent en Italie, mécontens et soupirant dans la retraite après des jours meilleurs. Le Goth Sarus, qui avait décidé contre Alaric la victoire de Pollentia, trop fier pour se soumettre à son ennemi et ne pouvant plus servir les Romains, se jeta dans la campagne avec une troupe de Barbares intrépides comme lui; il y fit la guerre pour son compte, gardant la neutralité entre les deux armées. Cette déplorable situation ouvrit enfin les yeux d’Honorius sur les conséquences de sa loi d’exclusion. N’osant la rapporter formellement de peur de se mettre à dos du même coup le parti catholique et le parti militaire romain, il voulut du moins en adoucir les effets dans la pratique; mais beaucoup de généraux barbares repoussèrent fièrement une demi-réparation, à laquelle ils préféraient une disgrâce complète. De ce nombre fut Généride, que l’histoire nous peint comme un homme courageux, honnête, désintéressé et connu par son vieil attachement à la famille de Théodose. Honorius l’aimait et s’entretenait volontiers avec lui. Vivement blessé par la loi d’exclusion, Généride avait résigné son commandement et se tenait renfermé dans sa maison, ne mettant plus le pied à la cour :