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je causais de cet acte de brigandage avec le tchaouch des zaptiés, une sorte de brigadier de gendarmerie. C’est un gaillard qui aime trop l’eau-de-vie, mais qui paraît d’aiilleurs intelligent et résolu ; il vient de prendre, affirme-t-on, une bande de huit Tartares qui avaient dépouillé des voyageurs du côté de Tchangra. Je lui exprime mon étonnement que de pareilles captures soient aussi rares et que ce genre d’attentat ne soit pas plus souvent puni. « Il n’y aurait pas, a-t-il répondu, de voleurs, si on nous laissait faire » mais on nous ordonne de prendre les voleurs sans leur faire de mal ; ils tirent sur nous, ils nous blessent, et nous n’osons pas répondre. » La même plainte nous revient de tous les côtés et. par toutes les bouches : elle a certainement quelque chose de fondé ; mais, avant de laisser ainsi à cette espèce de gendarmerie plus de liberté d’action et de lui donner des instructions plus rigoureuses, ne conviendrait-il point de demander à ceux que l’on y admet quelques-unes des garanties de tenue, de courage et de moralité qui sont exigées de nos gendarmes ? N’importerait-il point de soumettre à la condition de l’uniforme et à une discipline régulière ce corps, que maintenant le caprice des autorités locales, compose au hasard d’élémens disparates, et à qui l’état n’accorde qu’une solde si notoirement insuffisante qu’il est impossible à un zaptié de rester honnête et de ne pas mourir de faim ? Aussi personne ne s’étonne-t-il de voir un saptié suivre l’exemple de son patron le mudir ou le pacha, s’exercer à imiter dans sa sphère les talens de ces illustres personnages, grappiller un peu de tous les côtés, se faire donner par les uns et prendre aux autres de vive force, s’entendre même parfois avec les brigands, quand il n’y a pas eu trop de sang versé de part et d’autre, et que cette connivence peut être vraiment fructueuse. On l’a déjà remarqué, il n’y a pas de pays au monde où se trouve une plus choquante disproportion qu’en Turquie entre les traitemens des hauts fonctionnaires et ceux de ces humbles serviteurs sur qui pèse, dans toutes les branches de l’administration, presque tout le poids du travail réel. Corriger cet abus, rétablir la proportion en faisant plutôt pencher la balance en sens contraire, ce serait une des réformes qui profiteraient le plus à la dignité de la Turquie et qui amélioreraient le plus sûrement la situation de l’empire ; mais comme elle ne peut guère venir que de ces personnages dont elle commencerait par restreindre le revenu, elle se fera probablement attendre longtemps.

Kaledjik compte environ six cents maisons, dont soixante arméniennes. Les Arméniens de Kaledjik, appartenant tous au rite non uni, sont de pauvres diables, marchands au détail et gens de métier. Le chef de la nation est un entrepreneur de maçonnerie. Leur contenance devant nous et devant les Turcs est très humble. C’est