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dans la satire, Claudien s’était attiré bien des jalousies et des colères dont il se riait lorsqu’il était puissant et protégé; il fut accablé quand on le vit délaissé et faible. Comme païen, et « païen obstiné, » suivant le mot d’Orose, il avait jeté trop d’éclat sur le paganisme à son déclin, les polythéistes le citaient avec trop d’orgueil, pour que les chrétiens ne l’eussent pas dans une profonde haine. Enfin on lui en voulut de l’amitié de Sérène, sa noble patronne, et Honorius, qu’il avait si magnifiquement chanté, ne le défendit point. Il fut chassé de la cour, privé de ses biens, frappé dans sa famille, poursuivi dans ses amis, dont plusieurs furent mis à la question, afin de l’incriminer lui-même, séparé enfin de sa femme, dont il ne parle plus. On n’épargna que le grade qu’il possédait dans l’armée, peut-être pour lui laisser un peu de pain. L’histoire nous nomme un de ses ennemis, le plus cruel, le plus implacable de tous, et c’était un compatriote du poète, né comme lui dans la ville d’Alexandrie. Il se nommait Adrien et avait occupé des places éminentes sous les règnes de Théodose et de ses fils. On lui reconnaissait de grands talens, une activité infatigable dans les affaires, mais peu de scrupule à y chercher son profit. Claudien eut le malheur de l’attaquer au temps où ses traits restaient sans réplique. Comparant la vigilance funeste d’Adrien à la paresse de l’honnête Mallius Théodorus, consul en 399, il avait composé cette épigramme acérée : « Mallius se livre jour et nuit au sommeil, tandis que l’Égyptien veille pour piller le sacré et le profane. Peuples de l’Italie, adressez au ciel des vœux pour que Mallius veille enfin et que l’Égyptien puisse dormir! » L’Égyptien ne s’endormit pas, et, devenu préfet du prétoire après le meurtre de Stilicon, il consacra ses insomnies malfaisantes à la ruine du poète, qu’il réduisit à demander merci. Nous avons encore la lettre par laquelle Claudien essaya, mais vainement, de désarmer son persécuteur.

« Mon châtiment dépasse la mesure, lui écrit-il, pardonne à un adversaire terrassé. Me voici suppliant à tes genoux; j’avoue mon crime, j’implore mon pardon. Achille, dans son ardente colère, respecta le cadavre d’Hector; Oreste sut calmer les furies vengeresses de sa mère; Alexandre s’attendrit à la vue des rois qu’il avait détrônés; il rendit à Porus, son captif, plus de peuples et de contrées qu’il n’en avait conquis : le fondateur de notre patrie, tu le vois, connaissait la clémence... J’ai perdu mon crédit et mes biens; la pauvreté hideuse me poursuit, ma maison est déserte, mes plus chers amis m’ont été enlevés. L’un expire aux mains des bourreaux, l’autre traîne dans l’exil une douloureuse destinée. Que puis-je encore attendre et craindre?... Quand on peut déchirer son ennemi et lui arracher l’âme, le courroux s’apaise. Les bêtes sauvages s’éloi-