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mais la nation ne l’est pas encore comme nation. La liberté politique dépend des pouvoirs électifs, qui, formés sous l’égide de ces lois protectrices, sont là pour contrôler et discuter le gouvernement. Or, pour que le gouvernement soit contrôlé et discuté, il est une condition fondamentale, c’est que le ministère soit responsable. Voilà le mot important et le nœud du litige. Des publicistes soutiennent en principe qu’il faut choisir entre la responsabilité des ministres et celle du chef de l’état, et que, comme celle-ci est inévitable, comme la non-responsabilité du prince s’évanouit au bruit des révolutions, la responsabilité des ministres ferait un double emploi qui le gênerait sans le garantir.

Mais quand on dit : les ministres sont responsables, on se comprend. On entend qu’il peut leur être demandé de leurs actes un compte moral, politique, juridique même, par un autre pouvoir que celui qui les a nommés. Dans la monarchie représentative, ils sont responsables devant les chambres, qui peuvent les interroger sur tout, les blâmer, les renverser, les poursuivre ; ils le sont encore devant le public, qui, par la presse, les élections, l’opinion, peut-tempérer, contenir ou abréger leur pouvoir. Ils le sont même en Angleterre devant les particuliers, qui pourraient, dans nombre de cas, les forcer à s’expliquer devant la justice : là tout grief peut devenir un procès. Or, quand on dit que le chef de l’état est responsable, de laquelle de ces responsabilités parle-t-on ? D’aucune assurément. Est-ce qu’on voudrait que le prince fût forcé de rendre compte d’aucun de ses actes ? Est-ce qu’il est accusable, poursuivable, jugeable, punissable ? Est-il seulement discutable ? Par une nécessité invincible, là où le monarque serait seul responsable, la tribune et la presse ne sauraient être libres. Imagine-t-on une monarchie où l’on discuterait le roi pour tout, et où l’on ne discuterait que lui ? Si le prince est condamnable, il est changeable, et l’on a pour crises ministérielles des révolutions.

Changeable, dira-t-on, ne l’est-il pas, quoi qu’on fasse, et les révolutions ne sont-elles plus une menace toujours suspendue sur la royauté ? Si c’est une vérité historique qu’on nous oppose, on ne nous dit que ceci : Les rois ne meurent pas toujours sur le trône. Mais les empereurs romains aussi ont été déposés, emprisonnés, égorgés ; ils étaient donc responsables. Cette responsabilité-là prend trois formes, — conspiration, — insurrection, — assassinat. En vérité est-ce de cela qu’on veut parler ? Ce serait une dérision odieuse que d’octroyer aux peuples le crime de lèse-majesté et la guerre civile pour toute protection légale. Ce serait faire un singulier honneur à l’anarchie que de l’ériger en élément régulier de l’ordre établi, et à la rébellion que de la poser au rang des garanties constitutionnelles. Ce serait se jouer du suffrage universel que de dire au