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Pour l’observateur, cette foule est un spectacle, et ce n’est point lui qui se plaindra de voir défiler sous ses yeux, dans ce fleuve vivant (living stream), tous les rangs de la société bizarrement confondus, les tristes et hideuses apparitions de la misère à côté des vêtemens les plus splendides, la luxure drapée dans des haillons de soie, les haquetiers des brasseries, à la figure pleine, au teint rouge et fleuri, coudoyés par la faim au visage hâve. Tout le monde cependant n’est point Addison, et les hommes pratiques accusent ces embarras de voitures et ces ondulations de passans de retarder la marche des affaires. Décharger la ville de ces excès de circulation est le rêve de tous les Anglais qui se sont occupés de la voirie de Londres. Qui était d’ailleurs plus intéressé dans une telle question que les entrepreneurs de chemins de fer ? Ils se demandèrent naturellement s’il n’y aurait point pour eux quelque avantage à s’emparer d’une grande partie de la locomotion qui se trouve maintenant desservie par les cabs, les omnibus et les autres moyens de transport. N’y aurait-il pas, d’un autre côté, avantage pour le public ? Londres est une province, un monde, une ville qui ne commence et qui ne finit nulle part ; il en coûte plus de temps pour se rendre en omnibus de London-Bridge à Baysswater que pour voyager de Londres à Brighton (50 milles). Après avoir supprimé ou tout au moins réduit les distances dans les campagnes, on les sentait peser de tout le fardeau des heures, dans l’intérieur des grandes villes, sur les rapports d’un quartier avec un autre quartier. Ces considérations couvèrent quelque temps en silence dans l’esprit des ingénieurs, et enfin, il y a deux ou trois ans, la conquête de Londres par la vapeur fut décrétée.. Cette résolution donna lieu à deux ordres de travaux bien distincts : continuation dans l’intérieur de Londres des grandes lignes nationales et même internationales, établissement d’un chemin de fer métropolitain d’après un système tout nouveau. Occupons-nous d’abord des anciens railways qu’on est en train d’étendre et de conduire vers les districts du centre.

Au coin du pont de Londres, du côté du Surrey, s’élève un vaste débarcadère, London-Bridge station, où viennent aboutir tous les grands nerfs de communication avec la France et avec le continent. De là part aussi un gros tronc dont les rameaux de fer se détachent de distance en distance, et couvrent de mille branches secondaires toute l’étendue du Kent, du Surrey et du Sussex. Jusqu’ici pourtant cette ligne de jonction, vers laquelle rayonnent tant d’autres lignes, n’avait pas osé s’avancer dans Londres au-delà de l’entrée du Borough. Les entrepreneurs du railway croyaient avoir déjà beaucoup fait en perçant une route à travers les maisons d’un faubourg pauvre, mais industrieux. Quiconque voyage de London-Bridge à New-Cross peut se faire une idée de l’énorme masse de