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propriétés qu’il a fallu acheter et détruire. La voie de fer, d’une largeur très considérable, parcourt une longue distance portée sur des arcades de brique du haut desquelles on aperçoit, à une certaine profondeur, de riches jardins maraîchers, des rues, des maisons dont les toits de tuiles se groupent et s’allongent des deux côtés de la ligne sans même atteindre au niveau des parapets. On sera encore mieux à même de juger de l’importance des travaux en visitant à pied le quartier de la ville traversé par ce chemin de fer suspendu. Les anciennes rues qui communiquaient naturellement entre elles se trouvent maintenant reliées par des arcades et des tunnels. Eh bien ! après tant de sacrifices, ce puissant railway éprouve aujourd’hui le besoin de reculer encore ses colonnes d’Hercule. Jaloux de rattacher au service des wagons une partie de la circulation de Londres, il va s’élancer jusqu’au cœur de la ville, jusqu’à Charing-Gross, traversant trois fois la Tamise et poussant des1 branches d’une rive à l’autre. Ceux qui connaissent les quartiers populeux situés sur le parcours de cette ligne, les rues étroites qui s’embrouillent dans le Borough comme les fils d’un écheveau mêlé, les pâtés de maisons qui se serrent les uns contre les autres sur la rive du sud, se figureront aisément la masse compacte de murs et de maçonnerie qu’il à fallu trouer pour ouvrir un passage à la nouvelle voie ferrée. En Angleterre, la loi d’expropriation forcée pour cause d’utilité publique n’existe point, au moins sous la même forme. Les constructeurs de chemins de fer sont donc obligés d’obtenir de chaque propriétaire pour un prix débattu le consentement d’abattre les bâtimens qui se rencontrent sur le tracé de la ligne. Et pourtant quelle entreprise a jamais été entravée en Angleterre par l’absence d’une loi dont je n’entends point discuter ici les avantages ni les inconvéniens ? Toujours est-il que les projets les plus gigantesques n’ont point à souffrir de la liberté, et s’accomplissent chez nos voisins par des arrangemens à l’amiable tout aussi bien qu’ils s’exécuteraient ailleurs par la contrainte.

Le parcours du chemin de fer en voie de construction a été annoncé longtemps d’avance à travers Londres par une ligne de ruines et de décombres. En général les bâtimens qui se trouvaient dans les quartiers entamés par les travaux de démolition et sur cette longue traînée de débris sont, il faut le reconnaître, peu regrettables[1]. Peut-être même cette œuvre de destruction est-elle un bien pour certains habitans de Londres. Le percement introduira de l’air

  1. On doit pourtant excepter Saint-Thomas’s Hospital. Cet édifice, qu’il a fallu détruire, avait été fondé en 1213 par Richard, prieur de Bermondsey. Heureusement les riches institutions de charité ne périssent pas, elles se déplacent. Saint-Thomas’s Hospital va se relever dans un autre quartier de la ville, moins central, mais mieux aéré. Il jouit de revenus considérables, — plus de 226,000 livres sterling par an.