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de Charing-Cross, en donnant accès immédiat à toutes les grandes lignes continentales, déchargerait à lui seul le Strand et les rues de la Cité de sept ou huit millions par année sur les treize millions de passans qui les traversent aujourd’hui pour se rendre de l’ouest vers London-Bridge ou au-delà. L’extension du réseau de fer métropolitain offrira d’ailleurs plus d’un avantage à ceux qui vivent dans les environs de la ville. Londres est le grand laboratoire de l’Angleterre ; on y transforme tout en or, mais on y séjourne le moins qu’on peut. Les marchands de la Cité, les légistes de Grays-inn-Lane et de Lincoln’s-inn-Fields, les employés du gouvernement dans Whitehall, quoique venant tous les jours à Londres, s’échappent de cette atmosphère fumeuse dès que l’heure des affaires est écoulée, et se hâtent de se réfugier sous leurs ombrages. Les chemins de fer ont puissamment contribué, on le devine, à dédoubler ainsi la vie des Anglais. Si doux et si parfumés cependant que puissent être les soirs d’été dans les villas qui s’éloignent de la capitale, si fraîches que soient les brises dans ces nids de fleurs et de feuillages, les hommes et les femmes surtout n’entendaient point pour cela renoncer absolument aux plaisirs de Londres. Plusieurs administrations de chemin de fer ont bien compris ce besoin, et ont établi un train partant de Londres à minuit et demi. Le seul obstacle était jusqu’ici la distance qui séparait des débarcadères le centre des théâtres, des concerts et des autres divertissemens nocturnes. Cet obstacle va être surmonté, et les habitans de la campagne passeront en un trait de vapeur des quartiers de Londres, qui ne sommeillent jamais, au repos solennel de la nature endormie.

On peut déjà se demander quel spectacle offriront aux voyageurs ces chemins ou pour mieux dire ces rues de fer suspendues au-dessus des rues pavées. Londres vu à vol d’oiseau ou de vapeur ne nous permettra-t-il pas de découvrir quelques nouveaux côtés, de la vie anglaise ? Le vœu exprimé par plus d’un romancier de la Grande-Bretagne serait de pouvoir enlever, au moyen d’un procédé magique, la devanture des maisons, houses with the front off. Ce souhait n’est nulle part mieux explicable que chez nos voisins. En Italie et même dans quelques parties méridionales de la France, la vie privée, tout aussi bien que la vie publique, court pour ainsi dire les rues ; on travaille, on souffre, on se réjouit comme on respire à ciel ouvert. Il ne faut pas avoir demeuré longtemps à Londres pour savoir qu’il en est ici tout autrement ; la société anglaise, avec ses vertus et ses défauts, ses ombres et ses lumières, ses faiblesses et ses grandeurs, se cache soigneusement sous le mystère du toit domestique. Le voile que les habitans de l’Asie jettent sur la figure des femmes, l’Anglais l’étend sur la vie de famille. Qu’on regarde la forme et l’économie architecturale des maisons ; à première vue, on