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quand elles se trouveront exposées sous toutes les faces aux regards des curieux, les envisageant de haut en bas ? Asmodée, le diable boiteux si souvent invoqué par les novelists anglais, aurait-il enfin apparu sous la forme de la locomotive, ce monstre de feu à l’odeur de soufre et de charbon de terre ? Pour répondre à cette question, il suffit de consulter les faits : on peut juger de ce que sera un voyage à travers Londres dans des voitures passant à la hauteur du toit des maisons par ce qui se voit déjà sur quelques chemins de fer. Prenons pour exemple celui de Blackwall, qui traverse Whitechapel. On peut dire qu’avant l’établissement du railway, ce quartier était en quelque sorte inconnu des Anglais eux-mêmes ; il fut découvert il y a quelques années seulement par les voyageurs de la ligne, et la vue des habitations démasquées tout à coup par le parcours de la voie de fer contribua, sans aucun doute, à appeler l’attention des économistes sur un des districts de Londres les plus malheureux. Les faubourgs de la métropole anglaise, considérés du haut des railways qui les traversent déjà, ne présentent à la vue, dans certains endroits, qu’un océan de tuiles noircies par la fumée qui s’abaisse et se soulève, dominé de distance en distance par des flèches d’église, ainsi que par de grands mâts. Ailleurs le train passe à la hauteur d’une fenêtre, Où une pauvre jeune fille relève négligemment sa chevelure. Un des ornemens de ces fenêtres, même dans les quartiers les plus misérables, est très souvent une rangée de pots de fleurs. Une société s’est dernièrement formée à Londres pour encourager un nouveau genre d’horticulture appliquée à ces jardins suspendus. Elle ouvre deux ou trois fois par an un concours et décerne des prix non aux fleurs les plus rares et les plus somptueuses, mais à celles qui peuvent le mieux consoler la tristesse et la nudité des intérieurs dégarnis. Ces fleurs de fenêtres, window fîowers, qui ne coûtent guère de soins et se montrent belles sans frais, ressemblent un peu aux familles qui les cultivent. Quelques pouces de terre, un rayon de soleil, une goutte d’eau, en voilà assez pour les entretenir vivantes, quand la vapeur et la fumée du charbon de terre ne les étouffent point. Même dans leur pâleur maladive, elles conservent des grâces touchantes et simples comme les ouvrières qui les arrosent. Plus loin, la voie ferrée s’abaisse lentement, et le regard plonge alors dans des cours de maison, des allées, où, surtout durant la belle saison, s’étalent les diverses scènes du travail domestique. Même en Angleterre, le pauvre vit peu chez lui ; il semble que l’étroite demeure et le caractère maussade des chambres qu’il habite le poussent vers la lumière et le grand air. Dans ces cours, les femmes lavent ou étendent le linge, obscurcissant ainsi par des haillons humides le peu de place qui leur a été laissé au soleil. Les enfans abondent, bercés, grondés ou caressés par les parens, car ici