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éclairée de chaque côté, à près d’un mille de distance, par des béas de gaz. Des tables abondamment servies étalaient toute sorte de rafraîchissemens. La musique des volontaires exécutait des airs guerriers, et cinq cents personnes venues de Greenwich se livraient aux éclats bruyans d’une joie à peine assombrie par l’étrange caractère de la salle du festin. Nous étions dans le grand égout, tout nouvellement construit, qui doit conduire les eaux immondes de Londres jusqu’à Erith[1]. J’avais vu creuser cet égout quelques mois auparavant, et j’avais même plus d’une fois traversé la chaussée le long des ponts de planches jetés sur l’embouchure des profondes cavernes. Les habitans de Greenwich se proposaient de fêter, en se réunissant sous terre, l’achèvement des travaux, et d’offrir un témoignage de gratitude au constructeur, M. Webster. En août 1862, le tronçon du chemin de fer entre Paddington et Cower-street étant terminé, les constructeurs du Metropolitan railway résolurent aussi de célébrer cet événement par un banquet. Cette fois, la salle de divertissement était encore, à vrai dire, sous terre, si l’on consulte le niveau de la rue, mais du moins il y faisait à peu près jour, grâce à un système ingénieux d’éclairage. C’était une des stations du futur railway. Une plate-forme en bois avait été jetée d’un côté à l’autre de la station, et sur cette plate-forme s’élevaient les tables. Un orchestre, monté sur une estrade qui masquait l’embouchure d’un des tunnels, égayait le silence de ces lieux, naturellement taciturnes. Des drapeaux aux armes de la Grande-Bretagne et toute sorte de bannières tapissaient les épaisses murailles. Six cents hommes, tous employés dans les travaux, des dames et des gentlemen, s’assirent. autour des tables, éclairées de distance en distance, à la tombée du jour, par des tuyaux de gaz. Quand l’appétit des rudes convives eut fait honneur aux viandes, on but toute sorte de toasts accompagnés par la musique et par de vigoureux hourras. La réunion se sépara tard dans la nuit au milieu des accens d’une joie tumultueuse. Ces banquets ont en Angleterre un caractère grandiose et touchant ; ils servent d’ailleurs à resserrer les liens de la confiance entre les entrepreneurs de travaux et les ouvriers.

Le Metropolitan railway avait employé les meilleurs ouvriers de l’Angleterre, et par conséquent, ajoutait avec orgueil un des orateurs du banquet, « les meilleurs ouvriers du monde. » Les terrassiers anglais, navvies, forment, une des corporations de travailleurs les plus vigoureusement trempées, et leurs mœurs sont frappées d’un cachet tout particulier. Solidement bâtis, rudes, rouges, hérissés, ils représentent bien la race saxonne telle qu’on la trouve figurée

  1. Londres poursuit en ce moment même d’immenses travaux de drainage qui coûteront au moins 3 millions de livres sterling.