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wagons de troisième classe, ces derniers peuvent parcourir toute la distance (3 milles 3/4) pour la modique somme d’un penny. Est-il besoin de dire quel avantage ce moyen de transport à bon marché offre aux hommes de peine qui travaillent dans la Cité, mais qui ne peuvent point y demeurer à cause du prix élevé des loyers ? Voyager en wagon dans l’intérieur de Londres est d’ailleurs pour toutes les classes une économie de temps et d’argent. On a calculé que 111 millions de personnes faisant par an 12 milles en chemin de fer employaient à cela une demi-heure, tandis que, par les anciennes diligences, elles avaient dépensé sur la même distance une heure et demie. Le nombre d’heures épargnées par le nouveau système de locomotion représente ainsi un total de 38,000 années. Qu’on admette maintenant que ces voyageurs soient des hommes occupés, travaillant huit heures par jour à raison de 3 shillings par tête, et cette économie de temps se traduira chaque année par une économie de 2 millions de livres sterling. Ces chiffres ne sont point rigoureusement applicables à l’ordre de faits que nous avons ici en vue : je veux dire la différence entre les chemins de fer et les omnibus ; on ne saurait néanmoins douter que la substitution des uns aux autres dans les rues de Londres n’entraîne un grand bénéfice. Le vaste changement qui s’est introduit en Angleterre, depuis un demi-siècle, dans le système de locomotion artificielle a exercé une grande influence sur le caractère des habitans et sur la prospérité publique. Avant les chemins de fer, l’Anglais, — il le reconnaît lui-même, — était plus robuste que remuant ; la vapeur a en quelque sorte éperonné son activité physique et morale. Comment le réseau des railways, en s’étendant et en se ramifiant chaque jour dans la ville de Londres, où se pressent tant d’intérêts, ne stimulerait-il point encore l’esprit des affaires et l’énergie du travail ? Ici, plus même que dans les autres villes du royaume-uni, on apprécie la valeur du temps, et l’on sait que la condition du succès est de se hâter. « Les machines font honte aux indolens et aux paresseux, s’écriait un ouvrier de Londres dans un meeting ; les rapides locomotives réveillent les tortues de leur sommeil : elles nous apprennent que le monde "appartient à la force qui s’agite et qui court vers un noble but. »

Que deviendront cependant les omnibus et les voitures de louage ? On raconte qu’un paysan anglais du bon vieux temps, voyant tomber autour de son village les forêts de chênes, demandait un jour sur un ton de tristesse prophétique : « Et comment l’avenir nourrira-t-il les cochons ? » Les arbres à gland ont disparu depuis ce temps-là du sol de la Grande-Bretagne sur une vaste étendue, et pourtant les expositions annuelles de l’agriculture sont là pour nous apprendre que les porcs jouissent encore chez nos voisins d’un embonpoint formidable. Cette leçon doit nous engager à être plus réservés