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erreur. Qui ne comprend d’ailleurs que les débarcadères, en s’avançant vers le centre de la métropole, doivent favoriser l’établissement du système d’unité, si désiré maintenant au-delà du détroit ?

Les grands travaux qui bouleversent en ce moment la ville de Londres tendent en définitive, on l’a vu, vers un but pratique. Les Anglais n’éventrent point les anciens quartiers afin de percer des voies stratégiques ; il ne veulent ni frapper leur capitale à l’effigie d’un règne, ni séduire les regards par une élégance oisive, ni chasser du centre de la ville les ouvriers et rejeter aux extrémités les industries utiles. Ce qu’ils veulent avant tout, c’est ouvrir des voies aux affaires. ils ont le talent de ne point s’endetter pour la construction de ces gigantesques ouvrages, qui en facilitant les rapports des habitans entre eux, doivent au contraire enrichir chacun de la richesse de tous. De tels travaux contribueront-ils d’une manière certaine au bien-être de la classe la plus nombreuse ? Je répondrai résolument oui. Si j’en excepte l’extrême pauvreté, à laquelle, je l’avoue, tous ces changemens profitent assez peu, la masse recueille chaque jour le fruit des immenses sacrifices semés dans le champ de l’industrie. L’habitant de Londres a déjà sous ses ordres plus de chemins de fer qu’il n’en existe dans aucune capitale du monde, il commande à un réseau de fils électriques toujours prêts à transmettre d’un lieu à l’autre pour quelques sous ses messages et ses volontés. À plusieurs stations de railways sont attachées des fontaines à boire (drinking fountains) qui lui versent pour rien l’eau la plus limpide et la plus fraîche ; tout le long de la ligne il peut acheter pour un denier des journaux où l’on ose tout dire. Même avec une bourse légère, il est plus riche en réalité qu’un satrape d’Asie ou qu’un nabab de l’Inde, car la véritable richesse consiste dans le développement des moyens d’action. Dieu me préserve pourtant d’attacher à ces avantages matériels plus de valeur qu’il ne convient ! Tout cela ne serait rien encore, ou peu de chose, sans cette force morale qui chez nos voisins d’outre-mer surveille, contrôle et dirige même au besoin le gouvernement. De telles conquêtes industrielles et sociales se montrent à peine dignes de ce nom tant qu’un peuple n’a point conquis la liberté. C’est dans cette liberté surtout que la Grande-Bretagne puise, comme à une source féconde, la vigueur nécessaire pour accroître le prix du temps et pour renverser les barrières matérielles qui divisent les intérêts. Ses vastes entreprises ne doivent rien à l’état et ne se rattachent à aucun projet officiel ; elles proclament et fortifient au contraire de jour en jour le grand principe de la civilisation anglaise : se reposer sur soi-même, self reliance.


ALPHONSE ESQUIROS.