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laisser aux états eux-mêmes le soin de fixer leur destinée ; mais s’il lui était défendu par la constitution de se mêler des affaires intérieures des divers états de l’Union, il pouvait au moins leur donner un bon exemple en émancipant au plus tôt les esclaves de la Colombie, placée sous sa juridiction immédiate. Ce petit district, enclavé entre le Maryland et la Virginie, était encore déshonoré par la présence de plus de 3,000 esclaves que régissait un abominable code noir. En vertu de ces règlemens, tout nègre convaincu d’avoir brisé un réverbère, ou bien attaché un cheval à un arbre, ou bien encore lancé un pétard à moins de 100 mètres d’une maison, était passible de trente-neuf coups de fouet. Le congrès républicain ne pouvait plus autoriser de pareilles horreurs dans son domaine. Bientôt après avoir approuvé le message du président, les chambres adoptèrent, à la majorité des deux tiers, un bill affranchissant ces malheureux noirs colombiens, qu’en style parlementaire on désignait par la périphrase de « certaines personnes astreintes au service ou au travail. » Le total de l’indemnité allouée aux propriétaires fut fixé à 4 millions de dollars ; en outre le congrès vota une somme de 400,000 dollars pour venir en aide aux nègres qui témoigneraient le désir de s’expatrier.

Dès que l’adoption du bill fut connue dans Washington, la Capitole fut salué par un immense cri de joie. La population de couleur, composée pour les trois quarts de nègres libres, parfaitement initiés à la vie politique, était dans une jubilation impossible à décrire : de toutes parts elle se précipitait dans les églises pour donner un libre cours à son enthousiasme par des actions de grâce, des hymnes et des pleurs de joie. De temps en temps, on apprenait que des propriétaires avides, profitant des quelques jours de répit qui leur restaient encore, emmenaient de force leurs noirs les plus vigoureux et leurs plus belles mulâtresses pour les vendre sur les marchés du Maryland à un prix supérieur au chiffre de l’indemnité ; mais ces douleurs de famille se perdaient dans l’allégresse universelle. L’affranchissement des esclaves de la Colombie, que le sénateur Sumner n’avait pu proposer en 1850 sans courir de véritables dangers pour sa vie, était désormais une réalité. Les orateurs qui parlaient de justice et de liberté dans les salles du Capitole n’étaient plus exposés à entendre en guise de réponse les cris d’un esclave flagellé par le fouetteur public. Après leur mise en liberté, les noirs, qu’on avait accusé d’avance de préparer une bacchanale de crimes, continuèrent d’être les citoyens les plus paisibles de Washington ; ils ne songèrent pas même à quitter leurs anciens maîtres, et se contentèrent d’exiger, en échange de leurs services, un salaire mensuel de 8 à 12 dollars. Quant au subside voté par le congrès pour favoriser l’émigration des affranchis, il resta complètement sans emploi. Aussi