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et des plantations voisines étaient presque tous créoles, c’est-à-dire nés dans le pays même ou dans les Antilles. Depuis, cette partie de la population esclave ayant considérablement décru par suite de l’insalubrité du climat et de l’aggravation du travail, les propriétaires n’ont pu remplir les vides de leurs chiourmes que par l’importation de nègres achetés au Kentucky et dans les autres états du centre. Aujourd’hui les créoles ne constituent plus qu’une faible minorité parmi les noirs du Bas-Mississipi, et leur ancien patois, si musical et si naïf, est remplacé par l’anglais. Toutefois l’élément créole ne s’est mélangé avec l’élément africain qu’à la condition de le transformer graduellement et de lui imprimer un tout autre caractère. Les esclaves d’origine louisianaise, en général assez fortement modifiés par le croisement de la race noire avec la race caucasienne, ont donné à leurs nouveaux compangons de servitude un peu de cette grâce naturelle, de cette bravoure irréfléchie, de cette vanité chevaleresque qu’ils avaient reçues de leurs maîtres français et espagnols ; en même temps ils ont acquis cette ténacité prudente et cette longue patience qui distinguent les nègres élevés par les Anglo-Américains. En développant leurs ressources intellectuelles et en fortifiant leur caractère, la fusion des noirs créoles et américains a eu pour résultat de leur faire chérir la liberté d’un amour plus vif et plus raisonné. À ce grand privilège que le croisement des races et des familles assure aux esclaves louisianais, il faut ajouter encore d’autres avantages : la proximité d’une cité puissante où se trouvent un grand nombre d’hommes de couleur, propriétaires et libres, les visites d’étrangers du nord et de l’Europe dissertant plus ou moins ouvertement sur l’esclavage en dépit de la sévérité des lois, enfin la présence de plusieurs nègres de Saint-Domingue racontant à leur manière la légende des anciennes guerres. Quand l’escadre des canonnières fédérales passa victorieusement devant les forts du Mississipi, la population asservie de la Basse-Louisiane était depuis longtemps préparée pour un changement. Les esclaves prêtaient l’oreille au bruit du canon avec autant d’anxiété que les planteurs.

Déjà plusieurs mois avant la prise de la Nouvelle-Orléans, le général Phelps, commandant les troupes unionistes stationnées à l’Île aux Vaisseaux, avait adressé aux planteurs de la Louisiane une proclamation où la nécessité de l’affranchissement était nettement indiquée. Cet appel fut accueilli par le mépris et la colère dans les riches habitations des propriétaires blancs, mais il réveilla de tout autres sentimens dans les cases des nègres, où l’apportèrent les fils mystérieux de ce télégraphe souterrain qui met en communication tous les camps d’esclaves. Dans sa proclamation, malheureusement trop verbeuse, le général Phelps affirmait que désormais « les états