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grandeur de leur mission. » En novembre 1862, ils mirent en déroute un corps de Georgiens qui essayaient de leur fermer l’entrée de la rivière Doboy. À la fin de janvier 1863, ils remontèrent la rivière de Saint-Mary, dans la Floride, beaucoup plus haut que les régimens fédéraux du nord n’avaient osé le faire ; ils battirent à nombre égal un régiment de séparatistes, et, surpris à minuit par un détachement de cavalerie, se réveillèrent en sursaut pour repousser et disperser l’ennemi. Comme trophée de leur expédition, ils rapportèrent en triomphe à Port-Royal les chaînes, les ceps, les carcans et autres instrumens de torture qu’ils avaient trouvés dans les habitations et les villages de la Floride. Ils ramenaient aussi tous les noirs qu’ils avaient rencontrés sur les plantations et qui s’offraient avec joie pour faire partie des nouveaux régimens qu’organisait le général Hunter par voie de conscription. Si l’on en croit les témoignages du général Saxton et du colonel Higginson, qui commandent les soldats noirs, ceux-ci font preuve d’un entier dévouement, d’une abnégation complète de leur personne, et marchent sans hésitation partout où leurs officiers les envoient. Ils sentent fort bien que le peuple américain les regarde, et se conduisent en conséquence avec un courage héroïque et un profond sentiment des devoirs qu’ils sont appelés à remplir envers leur race déshéritée. Le colonel Higginson affirme qu’il n’aurait point osé tenter avec un régiment de ses compatriotes blancs l’expédition qu’il a conduite à bonne fin avec ses volontaires noirs. Cela se comprend : tandis que les Américains du nord se battent pour la constitution, qui est une chose abstraite, les nègres luttent pour leur liberté, celle de leurs familles et de leur race entière. Ils apportent au combat cette passion, ce délire de la bataille que les planteurs confédérés éprouvent aussi, mais qui semblent faire complètement défaut aux calmes Américains du nord. Un jeune nègre fugitif suivait en qualité de domestique la brigade du colonel français Cluseret, cantonnée dans la vallée de la Shenandoah. Par respect pour les mœurs américaines, on lui avait refusé les armes ; mais au premier coup de fusil il montait à cru sur un cheval du train et se précipitait des premiers sur l’ennemi en poussant des hourras frénétiques.

En Louisiane, les trois régimens d’homme de couleur ne se sont pas conduits avec moins de bravoure que le premier régiment noir de la Caroline du sud. Ils ont défendu l’important chemin de fer des Opelousas et vaillamment combattu sur les bords du bayou Lafourche et du bayou Tèche ; malheureusement le général Banks a commis l’imprudence de ne pas séparer complétement les deux fractions de l’armée fédérale appartenant à la race noire et à la race blanche. Si tous les hommes de couleur des régimens africains étaient de simples soldats, peut-être leur présence serait-elle dédaigneusement