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tolérée par les troupes du nord ; mais parmi les noirs et les mûlatres il en est qui portent l’uniforme d’officiers, et qui, d’après la hiérarchie militaire, sont les supérieurs des soldats et sous-officiers blancs. C’en est trop pour des hommes qui ont été élevés dans l’horreur du nègre, et souvent ils ont recours à l’insulte et même à la violence pour constater leur supériorité native. On ne peut décemment accuser de lâcheté les noirs et les mûlatres louisianais près de cette ville de la Nouvelle-Orléans que leurs ancêtres ont si vaillamment défendue et peut-être sauvée en 1814 : on se contente d’accuser leur couleur. Des colonels et des généraux ont menacé de donner leur démision, si on faisait combattre leurs troupes à côté des régimens africains. Un colonel né dans la patrie de Wilberforce s’écriait en parlant à ses soldats : « Je ne souffrirai point que votre dignité et vos mâles vertus soient contaminées par l’approche de ces êtres inférieurs ! » Un autre, suivant l’exemple du général Stevenson, du département de Beaufort, déclarait qu’il préférait être vaincu à la tête des blancs que vainqueur à la tête des nègres. Si graves que soient les premières difficultés, elles s’aplaniront bien vite, pourvu que l’on ait soin de séparer provisoirement les soldats des deux races et d’opérer la fusion avec prudence. Aujourd’hui les défenseurs de l’Union appartenant à la famille africaine sont à peine au nombre de 6,000 ; mais bientôt les nécessités de la lutte grossiront leurs rangs, et quand ils formeront de véritables armées, ils trouveront bien des occasions de se venger noblement, en rendant des services signalés à ceux qui les méprisent. Sans accepter entièremet le mot de Wendell Philipps : « Rely on god and the negroes ! comptez sur Dieu et sur les nègres, » on peut croire que le jour viendra où l’Union sera forcée d’accueillir avec reconnaissance l’aide de ces hommes qui hier encore étaient privés du nom de citoyens.


IV.

Au commencement de la guerre, les généraux de l’armée du sud, que leur expérience de planteurs avaient habitués à compter sur l’obéissance absolue des nègres, ne craignaient pas de les enrôler comme soldats. En plusieurs endroits des états confédérés, on ordonna des levées régulières d’esclaves et d’hommes de couleur libres, non-seulement pour les faire travailler aux routes et aux fortifications, mais aussi pour leur confier des armes dans les circonstances graves et leur intimer l’ordre de combattre à côté des blancs. C’était sans doute une pénible tâche pour ces Africains méprisés que d’aider à soutenir le pouvoir de leurs maîtres ; mais, soit nécessité, soit un faux point d’honneur, ils se conduisirent