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douteux qu’ils ne soient votés par le congrès prochain. Quant au Kentucky et au Tenessee, les intérêts engagés dans la propriété servile sont trop considérables, les passions sont encore excitées, pour que les planteurs veuillent consentir à discuter les propositions de rachat[1]. Ils temporisent et n’osent encore se décider, tandis que déjà, sur les confins des grands déserts de l’ouest, la législature de la tribu des Cherokees discute sur les moyens d’abolir promptement la servitude.

Mais qu’importerait l’émancipation des esclaves, si les noirs affranchis ne trouvaient que la haine ou le mépris chez leurs concitoyens, et devaient toujours mener une existence de parias au milieu des merveilles de la république américaine ? Les nègres libérés peuvent-ils espérer maintenant l’égalité des droits, ou bien continuera-t-on de les opprimer et de les reléguer, comme indignes, dans les bas-fonds de la société ? Là est vraiment le nœud de la question des races dans l’Amérique anglo-saxonne. Il faut l’avouer avec tristesse, dans plusieurs états du nord, l’ancien parti démocratique, favorable aux esclavagistes, fait souvent parade de son dégoût pour les noirs, et se refuse énergiquement à leur accorder les moindres droits politiques. Parmi les législatures les plus hostiles aux nègres, on peut citer principalement celle du New-Jersey, le seul état de la zone septentrionale qui ait encore la honte de posséder des esclaves. En 1860, il ne comptait plus que dix-huit de ces malheureux. La liberté est acquise à leurs enfans ; quant à eux-mêmes, la mort seule doit faire tomber leurs fers. Les racheter, les libérer, serait bien facile ; mais, parmi les fauteurs de l’esclavage, ceux qui ne tiennent point à l’institution divine par intérêt y tiennent encore par principe.

Animées du même esprit que celles du New-Jersey, les chambres de l’Illinois ont osé délibérer sur une nouvelle constitution, interdisant aux noirs et aux mûlatres de s’établir dans les limites de l’état, et punissant toutes les infractions à ce statut par la peine du fouet et la vente forcée. Toutefois en dépit de ces résistances locales les préventions que les blancs des états du nord manifestent à l’égard des nègres s’affaiblissent de plus en plus, et les mœurs deviennent moins intolérantes. La servitude de 4 millions de noirs ayant été jusqu’à nos jours la seule cause du mépris dans lequel on tenait 500,000 affranchis, il est tout naturel que l’émancipation des esclaves profite aux nègres libres et les fasse monter dans l’estime de leurs compatriotes. L’introduction des envoyés de Haïti et de Libéria à la Maison-Blanche et dans la société diplomatique de Washington n’est pas l’unique signe de ce progrès moral accompli par les

  1. Le Kentucky et le Tenessee comptaient, en 1860, 501,202 esclaves.