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menteurs de vénération qu’Auguste prodiguait au sénat après l’avoir réduit à l’impuissance, et quelque admiration que témoigne pour lui Suétone quand il le montre saluant humblement chaque sénateur par son nom avant les séances, je ne sais si je ne préfère pas encore à cette comédie l’impertinence de César, qui avait fini par ne plus se lever quand le sénat venait le voir. Tous les deux ont paru dégoûtés du pouvoir ; mais il n’est venu à l’esprit de personne de croire qu’Auguste disait la vérité quand il demandait avec tant d’instance qu’on le rendît à la vie privée. Les dégoûts de César étaient plus profonds et plus sincères. Ce pouvoir souverain, qu’il avait poursuivi pendant plus de vingt ans, avec une constance infatigable, à travers tant de périls, au moyen d’intrigues ténébreuses dont le souvenir devait le faire rougir, ne répondit pas à son attente, et parut médiocre à ce cœur qui l’avait tant souhaité. Il se savait détesté des gens à l’estime desquels il tenait le plus ; il était contraint de se servir d’hommes qu’il méprisait et dont les excès déshonoraient sa victoire ; plus il s’élevait, plus la nature humaine lui apparaissait sous un aspect fâcheux, plus il voyait s’agiter et se croiser à ses pieds de basses convoitises et de lâches trahisons. Il en vint, par dégoût, à ne plus tenir à la vie ; elle ne lui sembla plus mériter la peine d’être conservée et défendue. C’est à l’homme qui disait déjà, à l’époque du pro Marcello : « J’ai assez vécu pour la nature ou pour la gloire, » qui plus tard, lorsqu’on le pressait de prendre des précautions contre ses assassins, répondait d’un ton découragé : « J’aime mieux mourir une fois que de trembler toujours, » c’est bien à lui qu’il conviendrait de dire avec Corneille :

J’ai souhaité l’empire et j’y suis parvenu ;
Mais en le souhaitant je ne l’ai pas connu.
Dans sa possession j’ai trouvé pour tous charmes
D’effroyables soucis, d’éternelles alarmes,
Mille ennemis secrets, la mort à tout propos,
Point de plaisir sans trouble, et jamais de repos.

Ces beaux vers me plaisent moins, je l’avoue, placés dans la bouche d’Auguste. Ce politique avisé, si froid, si maître de lui, ne me semble pas avoir véritablement connu cette noble tristesse qui, dans le héros, nous révèle l’homme, ce découragement d’un cœur mécontent de lui malgré ses succès, et dégoûté du pouvoir par le pouvoir même. Quelque admiration que j’éprouve pour cette belle scène où Auguste propose d’abdiquer l’empire, je ne puis m’empêcher d’en vouloir un peu à Corneille d’avoir pris au sérieux et de nous dépeindre gravement cette comédie solennelle dont personne à Rome n’était dupe, et lorsqu’en lisant toute la tragédie je veux rendre mon plaisir complet, je suis toujours tenté de remplacer le personnage d’Auguste par celui de César.

Tous ces ménagemens hypocrites d’Auguste n’étaient pas seulement des défauts de caractère, ce furent aussi des fautes politiques, et qui laissèrent