Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/750

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les traces les plus fâcheuses dans le gouvernement qu’il avait créé. Ce qui rendit insupportable la tyrannie des premiers césars, c’est précisément ce vague que les mensonges intéressés d’Auguste avaient répandu sur la nature et les limites véritables de leur pouvoir. Quand un gouvernement affirme hardiment son principe, on sait comment se conduire avec lui ; mais quelle route suivre, quel langage tenir, lorsque les apparences de la liberté se mêlent au despotisme le plus réel, lorsqu’une autorité illimitée se cache sous des fictions républicaines ? Au milieu de ces obscurités, tout devient péril et naufrage. On se perd par l’indépendance, on peut se perdre aussi par la servilité, car si celui qui refuse quelque chose à l’empereur est un ennemi déclaré, qui regrette la république, celui qui accorde tout avec empressement ne peut-il pas être un ennemi déguisé qui veut faire savoir que la république n’existe plus ? La lecture de Tacite nous montre les hommes d’état de cette terrible époque marchant au hasard parmi ces ténèbres volontairement entassées, se heurtant à chaque pas à des périls imprévus, exposés à déplaire s’ils se taisent ou s’ils parlent, s’ils flattent ou s’ils résistent, se demandant sans cesse avec effroi de quelle manière ils pourront contenter cette autorité ambiguë, mal définie, et dont les limites échappent. On peut dire que ce manque de sincérité des institutions d’Auguste a fait le supplice de plusieurs générations. Tout le mal est venu de ce qu’Auguste songeait plus au présent qu’à l’avenir ; c’était un habile homme, plein de ressources pour sortir d’embarras dans les situations difficiles ; ce n’était pas un grand politique comme César, car sa vue ne s’étendait guère au-delà des difficultés du moment. Placé en présence d’un peuple qui supportait malaisément la royauté et qui ne pouvait pas supporter autre chose, il inventa cette sorte de royauté déguisée, et laissa vivre à côté d’elle toutes les formes de l’ancien régime, sans s’occuper de les accommoder ensemble. Puis il fit de ce provisoire un système définitif, et crut qu’il avait créé un gouvernement nouveau, quand il n’avait imaginé qu’un expédient. Il faut reconnaître néanmoins que si Auguste se montra un assez médiocre politique, il fut un excellent administrateur. En coordonnant ensemble tout ce que la république avait créé de pratiques sages, de règlemens utiles, en remettant en vigueur les traditions perdues, en créant lui-même des institutions nouvelles pour l’administration de Rome, le service des légions, le maniement des finances, le gouvernement des provinces, il a organisé l’empire, et l’a ainsi rendu capable de résister aux ennemis du dehors et aux causes de dissolution intérieure. Si, malgré un régime politique détestable, l’abaissement général des caractères, les vices des gouvernans et des gouvernés, l’empire a eu encore de beaux jours et a duré trois siècles, il le doit à la puissante organisation qu’il avait reçue d’Auguste. Voilà la partie vitale de son œuvre ; elle est assez importante pour justifier le témoignage qu’il se rend à lui-même dans cette phrase si fière de son testament, qui est précisément une de celles, que la découverte du texte d’Ancyre permet de restituer : « J’ai fait des lois, nouvelles. J’ai remis