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dans sa dignité plus encore que dans son intérêt, il s’était mis en rapport direct avec elle au moyen de quelques sénateurs influens, et les deux ennemis de la veille unissaient maintenant leurs griefs et leurs blâmes contre le gouvernement d’Honorius. Ces relations du sénat avec le chef des Goths en dehors de la cour de Ravenne. provoquées et soigneusement entretenues par Alaric, expliquent une partie des faits qui ne tardèrent pas à se produire. Il fut convenu, d’accord entre eux probablement, que le sénat tenterait l’envoi d’une seconde ambassade qui porterait à l’empereur des propositions plus formelles que la première fois et une sorte d’ultimatum. Cette ambassade était en train de se former, lorsque la révolution de palais survenue à Ravenne ouvrit la porte à toutes les espérances d’accommodement. L’histoire n’indique pas les membres laïques qui la composèrent; mais nous savons que l’évêque Innocent en fit partie, soit qu’il s’y adjoignît volontairement, soit que la ville de Rome l’eût elle-même choisi, dans la pensée d’aplanir les difficultés relatives aux questions religieuses. Quand l’ambassade fut sur son départ, Alaric ne se borna point à lui envoyer un sauf-conduit; il offrit de la faire escorter jusqu’à Ravenne, le pays qu’elle avait à parcourir étant infesté par des bandes de pillards de toutes les armées. Le sénat accepta l’offre, et dans ce temps d’étranges spectacles on vit encore celui-ci : des députés du sénat romain allant, sous la protection des Goths, demander à l’empereur que la ville de Rome eût le droit de se sauver des mains des Goths comme bon lui semblait, et que la foi publique ne fût point violée. Les députés, pendant la route, en croisèrent d’autres qui se dirigeaient de Ravenne au camp d’Alaric : ils venaient de la part de Jovius inviter l’ancien ami du ministre à se rendre dans la ville d’Ariminum, où s’ouvriraient, s’il y consentait, des préliminaires de paix. Jovius devait s’y trouver aussi pour prendre part aux négociations. Alaric ne se fit pas prier : il se mit aussitôt en marche avec une division de son armée; Jovius le rejoignit, et les pourparlers commencèrent.

Ce fut une lutte de finesse et de ruse entre le Barbare et le Romain, qui voulaient au fond la même chose. Comme on pouvait s’y attendre, Alaric enfla ses prétentions pour obtenir moins. Il demanda une forte somme d’argent et une certaine quantité de vivres, comme prestation annuelle pour lui et son peuple, et la liberté d’habiter la Vénétie, les deux Noriques et la Dalmatie. À ce prix, il faisait avec l’empire une paix éternelle. Jovius écrivit ces conditions sous sa dictée pour les envoyer à l’empereur; mais il joignit à la dépêche officielle une lettre particulière dans laquelle il faisait ressortir tout ce que de telles exigences avaient de dur et de dangereux pour l’Italie : il conseillait alors de créer tout simplement Alaric maître de l’une et l’autre milice. « Alaric acceptera, ajoutait Jovius; adouci