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par une faveur qu’il a tant souhaitée, il sera accommodant pour le reste, et renoncera à des propositions inacceptables. »

Le ministre d’Honorius croyait avoir si bien préparé son maître à cette concession, la plus essentielle de toutes, qu’il ne douta pas un moment du consentement de l’empereur, dont il attendit la réponse en pleine sécurité. Il se trompait. Les répugnances personnelles, pendant son absence, avaient repris le dessus sur la raison d’état : Honorius ne voulait plus d’Alaric, et les eunuques, témoins de ce changement d’humeur, y avaient applaudi avec transport, s’extasiant sans doute sur la fermeté et la dignité du fils de Théodose. L’expédient de Jovius fut donc ignominieusement rejeté, sa témérité fut blâmée, et, dans une lettre confidentielle comme avait été la sienne, l’empereur lui répondit, en termes très durs, « que c’était à lui, préfet du prétoire, qui était au fait des revenus de l’empire, de régler le montant de la pension et la quantité de vivres qu’on pouvait assigner au roi des Goths, mais que jamais fonctions ni honneurs ne seraient accordés à ce roi, non plus qu’à tout autre individu de sa nation. » Cette dépêche, où le grand-chambellan Eusébius avait vraisemblablement déployé son plus beau style, n’était point de nature, on le comprend bien, à être connue d’Alaric; mais le messager qui la portait l’ayant remise aux mains de Jovius en présence même du roi des Goths, Jovius, par une étourderie impardonnable chez un homme si fin, ministre dans une pareille cour, décacheta hardiment la lettre et la lut à haute voix. Ce fut un terrible coup de théâtre. Jovius, frappé de stupeur, avait peine à en croire ses yeux; quant au roi goth, il entra dans un de ces accès de fureur sauvages auxquels il était sujet, criant « que cette exclusion des charges et des dignités était un outrage pour son peuple comme pour lui, qu’il manquerait à son devoir s’il n’en tirait vengeance sur-le-champ, » et sans désemparer il donna des ordres pour que ses troupes se missent en état de marcher sur Rome. Jovius, effrayé pour lui-même, prit comme il put congé de ce terrible ami, et rentra précipitamment dans Ravenne.

Il échappait à un danger pour tomber dans un autre, peut-être pire : voilà ce qu’il put se dire pendant la route. Qu’allait devenir en effet le malencontreux conseiller d’une chose acceptable à son avis, mais qu’on avait déclarée infâme, dégradante, attentatoire à l’honneur et à la sûreté du prince? Accueilli à la cour par ses plus chauds partisans comme un ennemi et un traître, Jovius prit aussitôt son parti. Il reconnut sans discuter qu’il avait failli, que le prince avait raison, qu’Alaric et les Goths étaient pour l’empire et pour lui de mortels ennemis, et, allant plus loin que tous ceux qui l’avaient attaqué pendant son absence, il proposa la guerre immédiate. Bien plus, il fit jurer à Honorius de ne faire jamais de paix avec Alaric, et, s’approchant du trône la main étendue, il prononça pour lui--