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se rendra, comme relégué, dans une île ou dans tout autre lieu d’exil à son chois, et qu’il aura le pied ou la main coupé. » Un des officiers présens, opina pour une aggravation de peine. « Ce n’est pas assez, s’écria-t-il, et la mutilation serait insuffisante ; il en faut une autre plus complète qui, l’empêchant de rester homme, s’oppose à ce qu’il redevienne jamais empereur. » Cette atroce proposition demeura sans réplique. Jovius, renouant l’entretien avec Attale, fit observer qu’Honorius avait été traité assez durement déjà, puisqu’on l’avait dépouillé de l’empire. « On ne dépouille pas celui qui abdique, répondit aigrement le césar du sénat, et je ne souffrira pas qu’on tienne devant moi un pareil langage. » Les envoyés se turent, et Jovius partit pour Ravenne, promettant d’être bientôt de retour.

Alaric n’avait point assisté à la conférence (c’est du moins ce qu’on peut inférer du silence des historiens), mais il vit les ambassadeurs en particulier, et son infidèle ami Jovius sut, à force d’adresse, lui faire publier ses mécontentemens passés. Depuis qu’Attale, par sa dureté impolitique et le cynisme de son langage, semblait avoir rendu impossible tout arrangement amiable, le premier ministre d’Honorius avait changé de tactique et de but. Son but actuel était de détacher Alaric de l’ombre d’empereur qu’il s’était donné, pour le réconcilier avec son maître, le prince légitime. Il lui faisait sentir que la situation où l’avait porté son mérite, non moins que les événemens, aurait un tout autre éclat sous le fils du grand Théodose que sous le baladin misérable qu’il traînait à sa suite. Alaric, dont il caressait le rêve, l’écoutait sans manifester sa pensée, et, comparant l’esprit sagace de cet homme et sa dextérité avec l’inintelligence, d’Attale, il regrettait de n’avoir pas un tel conseiller à ses côtés. Dans ces secrets entretiens, Jovius ne négligea aucun moyen de perdre Attale, l’accusant non pas seulement d’incapacité, mais de perfidie, de noire ingratitude envers son protecteur. « Crois-moi bien, répétait-il au roi des Goths, cet homme-là se sert de toi, mais il te hait au fond de l’âme. Attends que son autorité se soit affermie grâce à toi et à ton peuple, et, tu le verras à l’œuvre. Sache qu’il vous fera périr sans miséricorde, toi et ta race, et qu’il n’aura pas de cesse que ta nation ne soit anéantie. » Ces graves accusations n’étaient point sans effet sur Alaric déjà irrité : il laissait dire Jovius, il le laissait agir près du fils de Théodose sans s’avancer ni s’engager à rien, et le préfet du prétoire de Ravenne, ne quittait plus Ariminum, où la faveur du roi barbare était pour lui une sauvegarde. Tout en négociant pour Honorius, il endormait par des propositions toujours rompues et reprises l’attention d’Attale, qui crut sans doute le corrompre en lui conférant le titre de patrice. Jovius l’accepta comme un honneur sans quitter le service d’Honorius.