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conforma de point en point. Avec un sérieux que ne possédaient même plus les aruspices de l’ancienne Rome ; à l’époque de ses lumières et de sa plus grande puissance, il regarda les poulets manger, traça des cercles dans le ciel avec le bâton augural, et consulta le vol des oiseaux. S’il ne riait pas, il prêta beaucoup à rire aux dépens du culte qu’il prétendait relever. Son langage était à la hauteur de ses actes. On rapporte qu’il commença par ces mots sa harangue au sénat : « Pères conscrits, je vous parlerai ici comme consul et pontife consul, je le suis ; pontife, je compte bientôt l’être. » Il semblait annoncer ainsi le rétablissement du pontificat suprême aboli par les empereurs chrétiens, et laissait entrevoir toute une série de réactions d’autant plus inquiétantes qu’il les cachait. Les païens opiniâtres applaudirent ; les chrétiens tremblèrent, non-seulement à cause des persécutions que cette ardeur passionnée leur présageait, mais à cause des malheurs que les actes en eux-mêmes pouvaient attirer sur la ville, par l’indignation du vrai Dieu. Accomplis au nom de peuple par les magistrats, ils rendaient le peuple tout entier responsable des conséquences surhumaines qu’ils entraînaient. C’était là une opinion généralement reçue parmi les chrétiens, qui crurent voir déjà la colère divine frapper Rome sacrilège, comme autrefois Sodome et Ninive. « Quels maux ne nous réserve pas une telle année ! se disaient-ils les uns aux autres. Encore si les auteurs du crime étaient seuls punis ! mais leurs abominations, commises au nom de tous, nous enveloppent tous dans le châtiment. » Au reste, les extravagances de Tertullus et de ses adeptes ne plaisaient guère plus aux ariens qu’aux catholiques malgré le lien politique qui rattachait ceux-là aux païens, et l’évêque Sige-sar dut en gémir avec ses Goths. Las de tant de sottises qui compromettaient de plus en plus sa cause, Alaric regrettait Honorius et cet accord presque conclu, puis fatalement brisé. Avec la patience du Barbare qui sait attendre et poursuivre imperturbablement un but, il épiait l’occasion de renouer, oubliant l’échec de la veille ou plutôt feignant de l’avoir oublié.

Elle se présenta plus belle qu’il n’eût osé l’espérer ; L’hiver n’avait apporté au fils de Théodose que des déceptions et dès embarras imprévus. Honorius, harcelé de besoins, avait trop compté sur l’argent de l’Afrique et sans doute aussi sur ses secours en hommes, et il apprit qu’Héraclianus, loin de l’aider, travaillait à se rendre indépendant dans sa province. Le nouvel auguste des Gaules, Constantin, était bien descendu en Ligurie avec quelques troupes ; mais à Vérone il avait rebroussé chemin subitement, effrayé des bruits qui couraient sur la situation de Ravenne. Cette ville en effet avait été le théâtre d’une révolte des généraux contre les eunuques : le