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de l’empire dans la liberté du Barbare. Tels, furent les préliminaires de ce troisième et dernier siège.

Le sénat de son côté comprit que la barbarie, avec ses concupiscences et ses impitoyables instincts, était rentrée dans le cœur de cet homme mortellement offensé, et qu’il ne s’agissait plus de traiter, mais de combattre à outrance ou de périr. Il arrêta donc avec résolution toutes les mesures nécessaires à la défense sans se leurrer d’aucune assistance du dehors. Les habitans sentirent, comme leurs magistrats, qu’ils n’avaient plus d’espoir qu’en eux-mêmes. Ancien membre du gouvernement d’Attale, Alaric pouvait connaître, à quelques boisseaux près, l’approvisionnement existant dans les magasins de la ville ; il commença par barrer le Tibre et laissa agir la famine concurremment avec les attaques de vive force. Un grand nombre de soldats romains qui avaient quitté le camp des Goths après la rupture d’Honorius et d’Alaric étaient venus grossir la population urbaine ; mais tout en fournissant à la résistance armée un noyau solide ils avaient multiplié les bouches à nourrir et accru le danger de la disette. Les magistrats furent obligés de restreindre les distributions, qui allèrent décroissant à mesure qu’on exigeait des habitans plus de travail et de veilles. Cette population, ordinairement insouciante et lâche, reprit pourtant courage en face de périls inévitables, elle souffrait et obéissait avec une sorte d’héroïsme. Les premiers mois du siège présentèrent une suite d’assauts repoussés au milieu des besoins les plus extrêmes. On voyait des hommes défaillans, ou plutôt des spectres dont la main semblait soutenir à peine le poids des armes, retrouver la vie devant l’ennemi, le repousser loin des portes et aller brûler ses machines jusque sous ses tentes. Alaric, étonné et presque effrayé ; réduisit ses opérations au blocus, laissant le premier rôle à son terrible auxiliaire, la faim.

L’histoire nous dit que le siège fut long, et si nous en ignorons les péripéties extérieures, nous connaissons du moins celles du fléau qui dévorait au dedans les assiégés. Après avoir consommé tout ce qui se pouvait manger, ces malheureux eurent recours aux viandes les plus impures, puis à la chair humaine. « On s’entredéchira pour se nourrir, » nous dit un contemporain avec un sang-froid horrible. Une mère mangea l’enfant qu’elle allaitait. La dernière populace, celle qui ne savait même pas finir sous les traits de l’ennemi, s’éteignait dans un abattement stupide : elle ne se révoltait pas, elle périssait. Il n’y avait point de tombeaux pour les morts. Les cadavres, encore chauds, étaient jetés dans les rues ou empilés dans les recoins des places, qu’ils empestaient, et les maladies contagieuses vinrent aider aux ravages de la famine. Au milieu de cette