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Placidie, dont il se faisait accompagner depuis quelque temps, non que cette merveilleuse beauté eût touché son cœur comme elle toucha plus tard celui d’Ataülf : il la gardait comme un otage réservé pour des événemens imprévus. Un autre otage le suivit volontairement, Attale, ce vil Romain qui ne pouvait plus avoir de patrie que le camp ennemi. Pendant que ces choses se passaient à Rome ou autour de Rome, Honorius concluait avec Sarus un arrangement qui livrait à ce chef de bandes la maîtrise des milices d’Occident, refusée au roi des Goths. Sarus maintenant dominait en tyran la cour de Ravenne : il se vantait dans son orgueil grotesque d’avoir fait fuir Alaric et le peuple des Goths devant deux cents hommes à peine armés, et les flatteurs applaudissaient à ce mensonge. Sous l’épée de ce grand général, le fils de Théodose pouvait désormais dormir à l’aise et se reposer de ses terreurs passées : aussi reprit-il avec bonheur des amusemens naguère interrompus. Jamais sa volière ne fut mieux garnie, ses oiseaux plus régulièrement nourris. On raconte qu’un matin l’eunuque chargé de ce service impérial, et qui avait accès à toute heure près du maître, l’aborda le visage décomposé en annonçant que Rome était perdue. « Comment cela se peut-il ? s’écria l’empereur hors de lui ; tout à l’heure encore je lui donnais à manger dans ma main ! » Il voulait parler de sa poule favorite, oiseau d’une grandeur et d’une beauté singulières, à laquelle, par honneur, il avait donné le nom de la reine du monde. L’eunuque s’expliqua, et l’empereur parut se consoler. Il est difficile de prendre au sérieux cette anecdote, quoiqu’elle nous soit donnée par un historien grave qui vivait un siècle après et quoique tous les historiens depuis lors l’aient répétée à l’envi. Elle sert du moins à nous faire comprendre le mépris profond des contemporains pour Honorius, mépris que l’histoire a confirmé.


III

Alaric quitta Rome l’âme plus troublée qu’il n’y était entré. Il fuyait, dit-on, devant des ennemis imaginaires qu’il croyait arrivés d’Orient. Les Goths traînaient à leur suite toute une armée de captifs, femmes, enfans, laïques, ecclésiastiques, qu’ils grossirent, chemin faisant, de toutes les personnes bonnes à rançonner. En traversant la Campanie, ils pillèrent la ville de Nole, dont ils enlevèrent l’évêque ; le célèbre Paulin, disciple d’Ausone, patricien converti au christianisme et resté poète sous le pallium épiscopal. Paulin, riche autrefois, devenu indigent par charité, semblait une excellente proie pour les Goths : ils le chargèrent de chaînes, le menacèrent, le tourmentèrent de toute façon pour avoir ses trésors, mais vainement ;