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On estime que les alpages contribuent au produit total qu’en Suisse on obtient du lait dans la proportion de 27 francs par juchart de 36 ares, sans compter la nourriture qu’ils livrent l’été à cent mille chevaux et à un demi-million de moutons ; cela ferait donc en tout un produit d’à peu près 100 francs par hectare. C’est beaucoup pour des terrains d’une situation si exceptionnelle et où la végétation n’a qu’une durée de quatre mois au plus.

Si, dans les cantons alpestres, la culture pastorale offre certaines particularités qu’on ne rencontre pas ailleurs, l’organisation de la propriété a de même quelques traits caractéristiques qui méritent attention. Très peu d’alpages appartiennent à une seule personne ; presque tous sont des biens communs ou indivis, mais dans cette indivision même il existe plusieurs degrés. Il y a tout d’abord une distinction à faire entre les alpages appartenant aux paroisses et ceux dont les parts indivises appartiennent à des particuliers. Ceux de la première classe sont de beaucoup les plus nombreux. Point de commune ou de groupe de communes qui ne possède une grande étendue de hauts pâturages. Dans les alpages communaux, il y a trois catégories qui se distinguent d’après la manière dont la jouissance en est réglée. Les uns sont exclusivement réservés aux pauvres ou à ceux qui sont considérés comme tels ; leur accorder le droit de faire paître leur bétail, telle est la forme que prend ici la bienfaisance publique, et certes elle ne suppose pas une misère bien profonde chez ceux qu’elle a pour but de secourir. La jouissance de la seconde espèce d’alpages revient à tous les habitans de la commune, et chacun a le droit d’envoyer au pâturage tous les animaux domestiques qu’il a nourris pendant l’hiver. Il est probable qu’autrefois c’était là la règle générale ; mais quand la population s’est accrue et que le chiffre des bêtes à cornes a augmenté, il a fallu en arriver à des règlemens plus sévères. C’est alors qu’ont pris naissance ceux qui caractérisent le troisième genre d’alpages. La jouissance de ceux-ci est attachée à la possession d’un bien dans la vallée. Les prés à faucher sont divisés en autant de parcelles fictives qu’ils peuvent entretenir de vaches l’hiver, et le nombre de ces parcelles que chacun possède détermine le nombre de têtes de bétail qu’il a le droit d’envoyer sur les alpes pendant l’été. On ne peut jamais, en aucun cas, y faire paître une bête qu’on n’a pas entretenue l’hiver. Comme les pâturages ne sont pas tous d’égale qualité, les mêmes troupeaux ne sont pas dirigés chaque année vers les mêmes endroits : il s’établit une rotation continuelle, de manière à n’avantager personne. Le nombre de moutons et de bêtes à cornes auquel chaque alpe peut donner la nourriture est aussi strictement limité. Les alpages indivis appartenant à des particuliers sont censés contenir autant de