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La vallée du Rhin en amont du lac de Constance, celle de la Nolla derrière Tusis, celle d’Urseren dans le canton d’Uri, la plupart des vallées du Tessin, sont de tristes exemples de ces irréparables dévastations. Une autre conséquence de la diminution des massifs boisés particulière à la Suisse, c’est que le climat se refroidit et que par suite le niveau de la végétation arborescente descend. En maints endroits, entre autres aux passages de la Fluela et du Juliers, le voyageur est frappé de voir d’énormes troncs morts, noircis par les tempêtes, squelettes séculaires d’arbres jadis vigoureux, qui ont vécu là où depuis longtemps il a cessé d’en croître. Les glaciers aussi avancent et tendent à regagner le terrain qu’ils ont perdu à la cessation de la période glaciaire. Naguère encore on attaquait les forêts sans ménagement, on coupait à blanc, et les chèvres arrêtaient radicalement toute espèce de repeuplement. On cite une commune des Grisons qui, voulant transformer un bois en pâturage, essaya à plusieurs reprises de le brûler sur place sans pouvoir y réussir, et qui, quelques années après, pouvait obtenir 20,000 florins des arbres qu’elle avait voulu réduire en cendres. Heureusement on s’est aperçu du danger : des voix éloquentes se sont élevées pour le signaler, et on commence à comprendre de plus en plus que sans combustible toutes les hautes vallées deviendraient inhabitables, et que la moitié de la Suisse se transformerait en un désert glacé. Celui qui veut se faire une idée du degré de misère où tombent les populations alpestres quand les bois leur font défaut n’a qu’à visiter dans les Grisons le val d’Avers qui s’ouvre derrière la gorge de la Roffla sur le haut Rhin et qui s’étend jusqu’au passage du Septimer ; il verra les habitans réduits à la plus triste existence et obligés d’employer la fiente de leurs bestiaux comme unique combustible.

Avant que des observations multipliées eussent indiqué tous les désastres qui accompagnent le déboisement des hauteurs, on avait déjà remarqué que certains massifs boisés formaient la seule protection efficace des villages et des routes qu’ils défendaient contre la chute des avalanches : aussi les autorités locales veillaient-elles à leur conservation, et il était strictement interdit d’y abattre des arbres. C’est ce qu’on appelait des bannwülder dans la Suisse allemande. Ces précautions suffisaient autrefois, quand une population peu dense encore trouvait sans peine dans ses immenses forêts un combustible surabondant. Aujourd’hui, malgré la répugnance qu’inspire dans une société démocratique toute intervention du pouvoir central, plusieurs législatures cantonales ont voté récemment une série de lois destinées à imposer aux communes, en tout indépendantes, des règlemens sévères pour l’exploitation de leurs forêts.