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temps encore les expéditions devaient se faire exclusivement par terre, il y avait une question importante à résoudre, celle du transport des vivres, des munitions et de l’artillerie, dans un pays où les-charrettes, les routes et les chevaux sont à peu près inconnus ; mais, entre autres bizarreries, la Chine offre le spectacle singulier d’un peuple qui s’acharne à tout transporter à dos d’homme. On peut dire que la moitié de la nation porte l’autre. À deux du à vingt, jamais les Chinois ne reculent devant le transport d’aucun poids sur leurs épaules. Ils semblent nés un bambou à la main. On n’eut donc aucune peine à se procurer un millier de ces hommes, que l’on numérota avec soin, tant ils se ressemblent tous, et que l’on embrigada sous la surveillance un peu brusque, mais nécessaire, de quelques robustes matelots. Un officier de marine parlant le chinois fut mis à la tête de cette armée de coulies, presque aussi nombreuse que celle des combattans. Il faut toute l’adresse et la patience de ces mulets humains pour mener à bonne fin une expédition dans un pays coupé de ponts larges comme la main. On était à peu près sûr d’ailleurs de ne jamais rester en route faute de moyens de transport, car, si les coulies manquaient au départ, on barrait tout simplement une rue aux deux extrémités, et les Chinois prisonniers comprenaient immédiatement ce que l’on exigeait d’eux. Généralement ils fournissaient eux-mêmes le bambou, et se montraient satisfaits, le soir, d’avoir gagné, après douze heures de marche, un peu de riz et 20 sous en sapecks.

Cependant, malgré la rigueur de la saison durant tout le mois de mars, les rebelles avaient encore marché vers Shang-haï, et venaient par bandes énormes tout brûler et piller autour de Zi-ka-wei, à deux lieues de la ville. Les amiraux, dès que le temps le permit, se décidèrent à les déloger de Wan-ka-tse, leur centre principal de ce côté. Ils convinrent de se rendre d’abord jusqu’à Tsi-pao, petite ville autrefois très florissante, située à six lieues de Shang-haï. Les colonnes devaient s’y reposer avant d’aller attaquer les camps des rebelles six milles plus loin. Les forces furent ainsi réparties : 600 Français avec huit pièces d’artillerie, et 1,500 Anglais avec neuf canons, dont trois de fort calibre. Le colonel Ward devait venir de Son-kiang avec son régiment, fort à peu près de 1,000 réguliers.

Le 3 avril, de grand matin, la petite armée partait gaîment, musique en tête, au milieu des flots pressés d’une population accourue sur le passage de ses vengeurs. Le soir, on arrivait à Tsi-pao, où les maisons ruinées et brûlées, les rues désertes attestaient les luttes récentes dont la petite ville avait été le théâtre. Une avant-garde, arrivée de la veille, avait préparé, pour recevoir les Français, un immense mont-de-piété, seul monument de la ville qui se tînt encore à peu près debout. Les Anglais se logèrent comme ils purent