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qui, dans les siècles passés, ont porté l’Évangile à la plupart des nations de l’Asie. Bien moins préoccupés de faire des catholiques purs que de changer les mœurs, ils comptaient leurs prosélytes par millions, surtout chez les peuples qui souffraient. Désormais nous ne serons donc plus isolés au milieu de ce vaste empire, avec lequel nous ne pouvons plus interrompre notre commerce, et ainsi se trouvent déjouées les espérances de la cour de Pékin, qui voyait avec plaisir les Européens se débattre contre des difficultés insurmontables, sans un appui sérieux dans le pays.

Une révolution complète se prépare donc en Chine, révolution d’autant plus radicale qu’elle a pour base le peuple honnête qui défend son sol, sa famille et sa vie en s’appuyant sur nous ; mais c’est aussi une révolution qui nous assure des relations pacifiques avec la société chinoise en dépit même de la dynastie tartare ou de ceux qui veulent la remplacer. Grâce à l’intervention des Anglo-Français dans la guerre civile qui désole le Céleste Empire, le rôle des Européens a bien grandi en Chine. Naguère les alliés sacrifiaient tout, même leur amour-propre national, à des bénéfices commerciaux qu’un décret venait anéantir ; leur situation était sans dignité, leur politique sans grandeur. Indécis entre les impériaux et les Taï-pings, ménageant les deux partis, ils ne savaient sur qui s’appuyer, et, après avoir fait de grands sacrifices pour s’imposer à la cour de Pékin, ils n’avaient réussi qu’à être tolérés par les mandarins et menacés par les rebelles. Aujourd’hui les alliés, avec l’appui des populations qui les entourent, n’ont rien à craindre des deux partis. L’avenir est donc débarrassé de ces incertitudes qui le rendaient si menaçant, et de ce moment commence peut-être pour les Européens leur invasion morale en Chine. À la suite des alliés, toutes les autres nations sont venues les aider dans cette tâche, et ce vaste pays, battu en brèche par les idées européennes, secouru par les Anglo-Français, envahi par le commerce du monde entier, offre désormais à l’activité humaine le champ le plus étendu qu’elle ait rencontré depuis des siècles. Une fois encore les coups frappés par nos marins et nos soldats auront servi la civilisation en préparant un avenir pacifique. L’intelligente et infatigable activité des chefs militaires et marins a montré la vraie ligne politique à suivre, en même temps que l’attitude énergique de l’amiral Protet sauvait les Européens d’une ruine complète. S’il n’a pas été donné au brave amiral d’accomplir tout entière la mission qu’il s’était imposée, du moins il est mort avec la satisfaction d’avoir tout fait pour la grandeur de son pays, et jamais plus belle cause n’aura été consacrée car un plus noble sang.


A. DES VARANNES.