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des villes très voisines. Il faut donc renoncer à Tokat et à Siwas, qu’un moment nous avions espéré atteindre ; il nous faut borner ici nos explorations. Il s’agit, pendant que la neige tient, de gagner au plus vite Samsoun sur la Mer-Noire. Nous nous y embarquerons sur un des bateaux qui de Trébizonde vont à Constantinople, sur le premier auquel le temps permettra de toucher. D’Amassia à Samsoun, on compte, à la manière du pays, dix-neuf heures de marche, une centaine de kilomètres environ. L’été, la route, qui traverse un pays montueux et boisé, est fort agréable, dit-on ; mais dans cette saison, avec notre équipement qui n’avait pas été calculé pour braver l’hiver, ce devait être, sans comparaison, la partie la plus pénible de tout notre voyage.

Nous avions expédié depuis quelques jours déjà nos, bagages à Samsoun ; nous nous étions, sans trop de perte, défaits de nos montures à Amassia. C’est avec des chevaux de poste que nous nous proposions de courir jusqu’à Samsoun. Nous partons le 14 décembre. La neige couvre la route : dans la plaine, elle a déjà commencé par endroits à se changer en une fange profonde et glissante, tandis que dans la montagne elle atteint souvent jusqu’au ventre de nos chevaux. Nous n’en allons pas moins au grand trot ou au galop partout où la pente n’est pas trop raide, et nous ne nous reposons dans toute la journée qu’une heure, pour changer de chevaux, à Ladik, petite ville qui possède une mosquée à deux minarets de l’époque seljoukide. La nuit nous prend en route, mais une nuit si claire, grâce à la lune qu’on entrevoit derrière les nuages et à la neige qui partout blanchit le sol, que l’on voit son chemin comme en plein jour. À huit heures, nous arrivons au village de Kavak, où se trouve le second relais Nous étions en selle depuis huit heures du matin, et nous avions fait à peu près 70 kilomètres. Méhémet n’avait pu nous précéder ; il nous fallut descendre au-khan, gelés et rompus. Si au moins nous trouvions de bons lits ! Mais nous avons le malheur de regarder les couvertures qu’on nous apporte d’une maison voisine, et, quoique nous ne soyons pas difficiles, elles nous paraissent si sales que nous nous décidons à coucher tout habillés ; aussi ne dormîmes-nous guère.

Le lendemain matin, le froid est très vif et le temps clair. Un soleil splendide fait étinceler les cristaux de la neige à travers laquelle nous poussons nos chevaux ; malheureusement la route est très difficile : ce ne sont que montées et descentes, profonds ravins boisés où coulent de nombreux ruisseaux. Il nous faut parfois mettre pied à terre et marcher dans la neige, qui par endroits nous monte jusqu’à la ceinture. En approchant de Samsoun, nous trouvons une température plus douce ; mais la plaine est changée en une sorte de