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races diverses qui y vivent côte à côte, chacune marchant dans sa voie et ayant son ambition particulière. Chacune de ces races est une puissance en action, une force vivante qui se développe à travers le temps et l’espace, et dont nous ayons à évaluer l’intensité et à noter la direction. Or c’est dans les aptitudes natives de chacune de ces populations, dans les croyances qu’elle professe, dans l’état où elle est parvenue et les tendances qu’elle trahit, qu’il convient de chercher le secret de son avenir.

De tous les peuples qui doivent être l’objet de cette sorte d’enquête, le plus difficile à bien connaître pour un Européen, c’est évidemment le peuple turc : il est plus éloigné de nous par le sang et par toutes ses traditions, il tient son éducation religieuse d’une croyance différente de la nôtre ; enfin la clôture du harem dérobe presque complètement à nos yeux tout le côté intime de son existence, toute sa vie de famille. Et pourtant c’est lui qu’il importe le plus d’apprécier à sa juste valeur, puisqu’il est le seul, d’un bout à l’autre du vaste empire auquel il a donné son nom, qui gouverne et qui porte l’épée, puisqu’il prétend garder encore intacte la suprématie que lui avaient acquise, il y a plusieurs siècles, ses prouesses guerrières. Ce furent donc encore surtout les Turcs qui m’occupèrent pendant ces dernières heures du voyage ; recueillant sur leurs habitudes et leurs mœurs de nouveaux renseignement, je les rapprochai des observations que j’avais pu faire moi-même en vivant auprès d’eux et sous leur toit, et je m’efforçai d’arriver ainsi à réunir les élémens d’une saine appréciation et d’un jugement équitable.

À Constantinople comme dans les provinces, il n’y a qu’une voix sur la vénalité des gens en place. Ces traditions d’improbité, cette absence d’honnêteté chez presque tous les fonctionnaires, petits pu grands, c’est là certainement une des plaies les plus profondes de la Turquie. Ce mal d’ailleurs ne date pas d’hier ; il est facile d’en signaler plusieurs causes : la paresse et la médiocrité des sultans qui se sont succédé sur le trône depuis Amurat IV, la disette de ministres énergiques et capables depuis les Kuprugli, l’affaiblissement du principe religieux, la maladroite application de la centralisation occidentale tentée par Mahmoud, le contact corrupteur de notre civilisation, qui ne s’est guère présentée aux Orientaux que par ses mauvais côtés. Si grave qu’il soit, ce mal n’est peut-être pas tout à fait sans remède, et il peut jusqu’à un certain point être efficacement combattu. Les fonctionnaires ottomans ne forment dans la nation qu’une minorité ; ils vivent les yeux toujours fixés sur le pouvoir, et obéissent docilement à l’impulsion qui vient d’en haut. Quelques châtimens sévères, accompagnés de bons exemples offerts par quelques hommes de cœur, quelques réformes maintenant faciles à opérer, et qui permettraient au pouvoir central d’exercer sur tous ses agens un contrôle