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Le tableau que nous venons de rappeler et quelques autres, au premier rang desquels il faut citer l’Attaque de la porte de Constantine par le lieutenant-colonel de Lamoricière, suffiraient pour attester l’insigne habileté d’Horace Vernet à figurer le mouvement, l’élan collectif, l’intrépidité en action. Une toile au moins aussi remarquable, — l’Ouverture de la brèche de Constantine, — montre avec quelle sagacité il savait deviner et traduire les mâles émotions qui précèdent la lutte, avec quelle rare justesse dans le choix des attitudes, dans l’expression des physionomies il donnait à l’immobilité même les caractères de la vie. Ici encore l’intérêt dramatique résulte tout entier de l’uniformité des élémens; seulement, au lieu d’une masse d’hommes courant simultanément au-devant du péril ou de la mort, on ne voit guère que des soldats au repos, attendant le moment d’aller les affronter l’une et l’autre. Déjà une partie de la première colonne s’ébranle et va escalader le monticule qui s’élève au pied de la brèche ; mais le reste des troupes n’a pas reçu encore le signal de l’assaut. Au second plan, le commandant en chef, le général Valée, assis sur l’affût d’un canon, donne aux officiers qui l’entourent les dernières instructions, tandis que le duc de Nemours, commandant du siège, indique de la main aux troupes les remparts de la ville et l’âpre chemin qui y conduit. Sur le devant du tableau et perpendiculairement à la ligne d’horizon, plusieurs compagnies d’infanterie semblent se recueillir dans un calme plein de glorieuses promesses pour nos armes, de menaces terribles pour l’ennemi. A voir ces braves gens qui acceptent le poids de l’attente d’un cœur si ferme, d’un front si virilement serein, on sent qu’ils ne seront pas plus troublés tout à l’heure. La minute qui les sépare du combat, de la mort peut-être, n’amènera ou ne fera que continuer, sous de nouvelles formes, le même dévouement au devoir. Et quelle vérité dans les types, quelle spirituelle exactitude dans l’imitation de la tournure et du costume militaires, quelle fine intelligence des habitudes particulières aux soldats de chaque arme ou de chaque campagne! En cela comme en toute chose, Horace Vernet n’emprunte rien, ne doit rien qu’à lui-même et à ses propres souvenirs. Il a vu de ses yeux, compris sans le secours de personne, formulé sans l’intermédiaire d’aucune tradition ces différences caractéristiques. Après avoir peint, suivant leurs apparences variées et dans le sens exprès de leurs allures, les volontaires de 1792 et les grenadiers de la garde impériale, les gardes nationaux de Paris en 1814 et les artilleurs du siège d’Anvers, il a dégagé avec la même certitude la physionomie de notre nouvelle armée; il s’est assimilé aussi facilement, aussi complètement le soldat d’Afrique ou de Crimée, depuis les plis de la guêtre jusqu’à la manière de porter le havre-sac et le képi, depuis les détails matériels et la lettre de la