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Peindre d’après nature, — dans le sens que nous attachons à ce mot ; — n’est pas une besogne commode. Aussi n’est-elle inventée que depuis très peu de temps, je veux dire pour le paysage : les paysagistes autrefois faisaient des études d’après nature, avec plus ou moins de courage, plus ou moins d’exactitude ; mais pas un n’imagina jamais de terminer ses toiles ailleurs que dans l’atelier, d’après des documens plus ou moins complets, des souvenirs plus ou moins exacts. Aujourd’hui on aspire à une fidélité plus grande, on veut atteindre à une imitation plus parfaite. Les jeunes adeptes de l’art nouveau n’acceptent plus de lisières ; ils prétendent voir par eux-mêmes et reproduire ce qu’ils ont vu : entreprise énorme, qui scandalise bien des gens, et n’a pas encore valu à ceux qui la tentent l’équivalent des labeurs et des soucis qu’elle leur coûte chaque jour.

La question soulevée entre les paysagistes anciens et les modernes est pour ainsi dire une question de frontières. Jusqu’où l’imitation doit-elle être portée ? Qu’elle ait ses bornes, personne ne saurait le nier, puisque, si elle ne les avait pas, l’artiste, impuissant à tout rendre, ne verrait jamais le terme d’un seul de ses tableaux, et le public, exigeant l’impossible, serait condamné à le désirer toujours vainement ; mais où sont-elles ? Pour le public, il se contente de l’imitation la moins exacte, et la popularité, de nos jours, appartient aux esquisses les plus lâchées tout au moins autant qu’aux œuvres du dernier fini. Voyez par exemple le prix auquel arrivaient les toiles de Decamps. Pour les artistes, chacun imite la nature jusqu’à un certain point, et ne pousse pas au-delà. Le préraphaélite le plus rigoureux doit prendre son parti de s’arrêter quelque part dans la reproduction des phénomènes naturels, sans quoi il reconnaîtrait après quelque temps qu’il roule le rocher de Sisyphe, qu’il étreint la nuée d’Ixion, et qu’à poursuivre un résultat irréalisable il risque tout bonnement sa raison.

N’allons pas confondre au surplus le fini de la peinture et le fini de l’imitation. Un peintre peut finir minutieusement son ouvrage et n’être qu’un imitateur fort inexact. En revanche, il ne peut imiter minutieusement sans finir minutieusement sa peinture. Quand il travaille d’après nature, toutes les limites qu’il accepte enchaînent sa liberté, bornent son action et déterminent le caractère de son travail. S’il est de l’école classique, voué au culte des maîtres, soumis aux traditions, il adaptera tout ce que la nature lui présente à certaines idées préconçues qui se seront formées en lui devant les chefs-d’œuvre de tels ou tels musées. Claude et Poussin se placent entre lui et ce qu’il voit. Rencontre-t-il quelque chose qui lui rappelle le Lorrain, il juge que c’est là une légitime conquête, et il s’en empare au nom de l’art, prenant soin de rappeler le maître par