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III

Au retour d’une seconde campagne dans les moors du Lancashire, j’ai considérablement modifié mes arrangemens sur le Loch-Awe. De l’île d’Inishail, j’ai transporté mes pénates sur celle d’Innistrynich, qui n’est île que l’hiver, quand les eaux recouvrent une vaste prairie basse, submergée seulement alors. J’ai là un cottage et une ferme. Le cottage, situé à l’extrême pointe de l’île, du côté du lac, est une petite bâtisse carrée en avant de laquelle se projette une verandah. Une des conditions de mon bail de cinq ans a été que les quatre principales fenêtres de la façade seraient enlevées et remplacées par autant de belles glaces sans tain ; les petits vitraux en losanges qui découpent en mille menus morceaux un des plus beaux sites du monde me sont positivement insupportables. Mon cottage est ainsi devenu un véritable observatoire d’artiste. Deux de mes glaces me livrent à l’ouest une perspective du lac, qui s’étend jusqu’à cinq et six milles ; une troisième me procure au nord la vue complète du Ben-Cruachan. Sur cette vaste nappe d’eau comme sur cette masse imposante de rochers, pas un effet de quelque importance ne saurait se produire sans que je sois à même de l’observer. J’obtiendrai de la sorte une série de memoranda comprenant les effets particuliers de chaque saison de l’année, à chaque heure du jour, à chaque variation de l’atmosphère. J’espère ainsi venir à bout de ces difficultés qui m’ont fait échouer l’année dernière, et dont je veux dire ici quelques mots.

De tous les climats de l’Europe, celui des highlands d’Ecosse est peut-être celui qui gêne le plus un peintre voué au travail d’après nature. Le temps presque toujours pluvieux, l’éclat intense des couleurs, sujettes partout et toujours à des modifications soudaines et violentes, la fréquence de ces nuages bas qui viennent dissimuler la forme des montagnes mieux qu’un épais manteau ne dissimule celles du corps humain, tous ces obstacles réunis sont à peu près insurmontables et n’appartiennent pas à la catégorie de ceux dont peut se rire une volonté ferme, une patience indomptable. Les peintres sur memoranda trouvent dans les highlands d’Ecosse un noble champ d’exploration ; les peintres d’après nature, je le dis épreuve faite, devraient ne s’y jamais hasarder. C’est en France, c’est sur les bords de l’Yonne, en Bourgogne et dans certains districts champenois, qu’ils travailleront à leur aise. Et si les sujets français n’ont pas le même caractère grandiose, ils sont en définitive plus jolis, plus abordables, plus facilement populaires.

Ces memoranda dont je parle consistent parfois en esquisses à la