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s’en est chargée ; elle a eu pour complice la pauvreté des propriétaires, qui ne leur a pas permis d’entrer en lutte avec elle. Auberges, fermes, églises, auxquelles l’Écossais a pu consacrer un peu d’argent, rivalisent de laideur ; mais la hutte du pauvre partage la sublimité des rochers qui l’environnent. La palette du plus riche coloriste s’épuiserait avant d’avoir reproduit les teintes variées qu’elle revêt : l’or des lichens, les roses du granit, le vert des mousses ; et pour les faire valoir, par manière de contraste, de repoussoir, si l’on veut, la nature a donné aux highlanders cette tourbe noirâtre qu’ils amoncellent près de leurs habitations, et dont les bruns, les pourpres sévères font ressortir l’éclat des murailles, qu’on dirait incrustées de pierreries. Que si une de ces misérables huttes a été abandonnée, si la charpente du toit pointe, affreux squelette, par-dessus la maçonnerie délabrée, il y a là des combinaisons telles que les rêvent les plus fougueux adeptes de la couleur.

« Remarquez aussi que les entours sont admirables. Le paysage au sein duquel s’est posé le clachan ne manque jamais de pittoresque. Quelque ravin gris, quelque colline pourpre est immanquablement à portée du regard, ou bien c’est un ruisseau qui bondit parmi les rocs, ou tout au moins quelque bouquet d’arbres bien groupés, puis les habitans eux-mêmes de ces pauvres demeures. Je ne vis jamais plus beaux modèles que ces enfans hardis et robustes qui se roulent là sur le seuil des chaumières, vêtus de haillons admirables. Les bestiaux eux-mêmes y sont bâtis autrement qu’ailleurs. Rien de plus fier qu’un petit taureau des highlands, noir comme la houille, majestueux comme un prince, avec sa pesante allure où se révèle un sentiment profond de sa dignité, de sa force. Je ne m’étonne pas que Rosa Bonheur aime le bétail des highlands. Il y a dans le jeu du soleil, parmi l’épaisse fourrure de ces bœufs trapus, de quoi rendre à moitié fou de plaisir un peintre qui a le sentiment de son art. Celui-là ne négligera pas non plus les moutons et leurs cornes torses, dans lesquelles le chaudronnier ambulant saura sculpter des cuillères pour les femmes de nos cottagers, ni la chèvre qui présente sa tête armée aux marmots acharnés après elle.

« Ajoutez que de ces chétives cabanes vous voyez sortir quelquefois des femmes aussi belles qu’on en puisse trouver ici-bas. La beauté typique des highlands est plantureuse et robuste. Ses yeux sont bruns comme l’étang perdu sous la bruyère ; ses joues ont la rondeur et le vif éclat de la pomme rouge ; ses cheveux sont noirs ou d’un brun très foncé. Elle a pour le travail des bras musculeux, pour la marche des supports solides, et pour nourrir ses enfans un sein de marbre aux larges contours. Elle est faite, on le voit, pour